Ailleurs, ici, le goût des autres

6 février 2014
Éternel voyageur, Raymond Depardon est d’abord parti loin, pour revenir là où tout avait commencé, chez lui, en France. Une errance empreinte d’un même regard sur l’autre, quasi anthropologique.

« Tous ces voyages à l’étranger m’ont aidé à voir mon pays ». Tchad, Algérie, Israël, Chili, Pérou, Bolivie, Brésil, Liban, Japon, Vietnam, Etats-Unis, Angleterre, Allemagne… combien d’aéroports, de passages en douane, de vols retardés, de jetlag, de taxis, d’hôtels, de notes de frais, de rencontres, de souvenirs…Un passeport comme un itinéraire, un pèlerinage, celui qui le mènera d’allers en retours sur les chemins de son pays d’origine, pour, toujours, mieux en repartir.
Raymond Depardon, Plage de Wai Ki Ki, Honolulu. 170 x 170 cm © Raymond Depardon / Magnum Photos



Dès ses débuts à l’agence Dalmas, Raymond Depardon développe un rapport singulier avec l’ailleurs : « Nous étions envoyés pour un reportage à Saigon et nous restions six mois sur place, passant de Shanghai à Tokyo, de Hong Kong à Bangkok. Il n’y avait pas beaucoup d’avions. C’était une autre philosophie du voyage que celle que nous avons aujourd’hui. J’ai gardé longtemps cette méthode du voyage dans le voyage ». C’est ainsi que par ricochet, il couvre successivement les événements majeurs de son siècle, appareil au poing ou caméra à l’épaule : la guerre d’Algérie, la campagne de Nixon ou celle de Valéry Giscard d’Estaing, les guerres civiles au Liban, en Afghanistan ou au Biafra, mai 68, l’enlèvement au Tchad de l’ethnologue Françoise Claustre, la chute du mur de Berlin…Chaque voyage est avant tout pour lui prétexte à la rencontre, l’échange.



Témoin social, il sonde le lointain, l’exotique avec toujours la même curiosité authentique, neutre, dénuée de toute velléité d’instrumentalisation. Pour Hervé Chandès, sa photographie, engagée malgré elle, représente un « acte politique de pensée ». Si Depardon convoque les images d’Edmond Bernus chez les Touaregs, de Pierre Clastres chez les Guarani au Paraguay, ou de Pierre Bourdieu à Alger, c’est que sa pratique n’est pas étrangère à leurs intentions:  « Qu’est ce que ça veut dire voyager ? Faire des reportages ? Qu’est-ce que je fais là, en Afrique ou en Amérique ? Quel est mon rôle ? C’est le côté ethnologue ou anthropologue que j’ai toujours aimé. »  Et de citer Bourdieu : «  La photographie est une manifestation de la distance de l’observateur qui enregistre et qui n’oublie pas qu’il enregistre. » Des indiens Yanomani à ces touristes en goguette sur une plage d’Honolulu, il dit l’humanité entière, la donne à voir sans a priori ni parti pris, presque sans discours. De Beyrouth au Jura, l’image comme un document, le voyage comme un boomerang. « L’étranger l’a peut-être aidé à voir ce qu’il y a d’étrange ici-même » avance Hervé Chandès. De sorte qu’il s’agisse de la mission photographique de la DATAR en 1984, ou celle qu’il se fixe de 2004 à 2010, l’état des lieux que Depardon dresse de la France, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, reflète sa géographie du sensible.

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