Ellsworth Kelly, le pouvoir inouï de la géométrie chromatique
Lors de sa formation à la Boston Museum School, Ellsworth Kelly est grandement marqué par les travaux de l’artiste allemand Max Beckman. Son approche des couleurs et des contrastes mais aussi l’emploi du triptyque provoqueront auprès du jeune artiste une émulation certaine quasi révélatrice. Profondément influencé par le modernisme de Le Corbusier, son séjour en France, entre 1948 et 1954, contribuera également à parachever sa conception nouvelle de l’art. L’architecture trouve en effet une résonnance vive et déterminante chez Kelly, qui ne cessera de questionner à travers ses œuvres la perception et le rapport que nous entretenons avec l’espace.
Inspiré par le surréalisme, il expérimente de nouveaux modes de production artistique à l’image du dessin automatique, technique aléatoire à laquelle John Cage et Jean Arp l’initient à Paris. Mêlant découpages, collages au gré d’arrangements hasardeux, Ellsworth Kelly développe ainsi une forme autre d’abstraction basée sur le contraste saisissant du relief des couleurs. Cité, assemblage de 20 panneaux de bois peints à la laque noire et blanche, en est la parfaite incarnation. Baptisée ainsi en référence à la fresque murale du Pavillon Suisse de la Cité Universitaire de Paris conçu par Le Corbusier et dont l’artiste a rêvé, cette œuvre majeure de la collection Fisher est un concentré de poésie visuelle aux rythmes captivants.
Par un équilibre optique entre le fond et la forme, l’artiste cherche par ailleurs à dépasser la contrainte imposée par le châssis traditionnel du tableau. Ses « tableaux-objets » comme il se plait à les appeler, vont en effet au delà du cadre formel, laissant courbes, cônes, cylindres, triangles, arcs de cercle et autres prismes à la géométrie non conventionnelle, s’exprimer librement comme c’est le cas dans Red White (1962) ou Black Panel with White Curve (1989). Plaçant l’interaction du spectateur au cœur de son œuvre, Ellsworth Kelly confronte regard et émotion avec une magie troublante, effet magistralement opéré dans Spectrum (1953) et ses quatorze bandes de couleurs chatoyantes et vibrantes de lumière. Un enchantement multi-sensoriel !
Pauline Weber