Fantin-Latour : Un atelier aux Batignolles

14 novembre 2016

Henri Fantin-Latour, "Un atelier aux Batignolles", 1870, Huile sur toile, Paris, musée d’Orsay © Rmn-Grand Palais, Hervé Lewandowski

« C’est le temps du Parnasse, c’est l’enfance de l’impressionnisme, heure significative dans le XIXe siècle. Fantin fut lié avec ces hommes dont il nous importe tant d’avoir l’image qu’il traça d’un pinceau souvent très  fin, mais dénué de cette puissance dans le modelé et le dessin, de cet accent, je dirais caricatural, d’un Manet.» La sévérité du commentaire de Jacques-Émile Blanche, du reste un héritier d’Henri Fantin-Latour dans l’art du portrait, renvoie Un atelier aux Batignolles au statut principal de document d’un tournant de l’histoire de la peinture auquel il n’aurait pas participé – et qui n’a en fait jamais existé, pas plus que la cohésion des personnalités présentes ; la distance maintenue par Fantin, à la différence d’Édouard Manet, avec le groupe des participants aux futures expositions impressionnistes renforce le malentendu qui fait de lui, dans l’esprit des commentaires, l’auteur d’une icône, « un documentaire et un réaliste moderne », de même qu’un peintre naturaliste comme Léon-Augustin Lhermitte est devenu populaire comme le « peintre des moissonneurs » en référence à La Paye des moissonneurs (Paris, musée d’Orsay).



Fantin-Latour espérait dès 1870, grâce à une réception critique favorable et parfois élogieuse, une acquisition du tableau par l’État pour sa ville natale de Grenoble ; ce n’est que plus de vingt ans après que l’œuvre est acquise par les autorités publiques pour le Musée du Luxembourg. Il est probable que le caractère documentaire de la toile compte beaucoup à l’heure où les membres du groupe sont désormais reconnus comme des artistes majeurs de leur époque [...].


Henri Fantin-Latour, "Un atelier aux Batignolles" (détail), 1870, Huile sur toile, Paris, musée d’Orsay © Rmn-Grand Palais, Hervé Lewandowski

L’incompréhension de l’art de Fantin se fait plus précis lorsque Blanche analyse les différents portraits ainsi rassemblés, dans un hommage à Manet, composition ambitieuse qui permet au peintre de renouer avec ses grands tableaux de groupe après l’échec du Toast : « Ses groupes de littérateurs et d’artistes ne nous satisfont presque jamais tout à fait. Prises séparément, les têtes d’Édouard Manet, de Claude Monet, de Renoir, d’Edmond Maître, de Scholderer [...] sont des morceaux superbes. Peut-on dire que la toile, dans son ensemble, ait une allure magistrale ? » Apparaît de nouveau une critique faite à l’Hommage à Delacroix sur l’absence de relation entre les personnages qui, en restant sur le plan de la vraisemblance réaliste, fait justement l’impasse sur la dimension monumentale et allégorique, y compris dans le cas présent, des portraits de groupe de Fantin. Certes, le choix de l’atelier, qui ancre tant la scène dans le réel, est indissociable de nombreuses représentations d’artistes, notamment L’Atelier de Bazille, situé rue de La Condamine, de Frédéric Bazille, qui apparaît en bonne place dans le tableau de Fantin-Latour, et se fait le chantre de la nouvelle peinture qui naît dans le sillage de Manet et de son Déjeuner sur l’herbe (Paris, musée d’Orsay). Fantin-Latour, qui ne se représente plus au sein du groupe, laisse cependant libre cours à ses affinités personnelles et se décide, après une longue période d’hésitation et de dévotion aux sujets d’imagination, à reprendre son portrait de Manet peint trois années plus tôt et à lui donner une ampleur nouvelle.







Texte extrait du catalogue "Fantin-Latour. À fleur de peau",

en vente dans Les Boutiques de musées

 

Mots-clés
A lire aussi

L'appel de la plage !

Article - 25 juillet 2022
Pourquoi les peintres se sont-ils mis à la mode des "plaisirs de la plage" ?
Tout le magazine