Soir bleu d'Edward Hopper

27 décembre 2012

Par Stéphane Renault, historien de l’art, critique, journaliste pour Beaux Arts magazine et l’Express.

Les œuvres de Hopper appartiennent à l’imaginaire collectif. Leur atmosphère distanciée si particulière, empreinte d’une profonde poésie, leur sens dramatique en font l’un des artistes majeurs du XXe siècle. D’entre toutes, Soir bleu (1914) est l’une des plus singulières.

Féru de peinture française, Hopper l’était aussi de littérature. Ce tableau, parmi ses plus connus – non des moins sibyllins  – tire son titre d’un vers de Rimbaud : « Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers ». Francophile, le peintre américain maîtrisait et admirait la langue de Molière. Pour séduire sa future femme, il lui récite des poèmes de Verlaine.

De ses séjours à Paris, il a en outre retenu la leçon des grands maîtres. Le sujet de la toile renvoie à L’Atelier du peintre (1854-1855) de Courbet, que le génie d’Ornans avait souhaité présenter dans son titre comme « Allégorie réelle ». Hopper peut admirer l’œuvre réaliste lors de sa visite du Salon d’automne en 1906. Dans Soir bleu, il s’en inspire sur le fond pour transcrire, sous une forme symbolique, sa propre vision de la place de l’artiste dans la société.

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Courbet, L'Atelier du peintre ou Allégorie réelle, 1854-1855 (détail), Musée d'Orsay ©RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

Dans son tableau, Courbet donne à voir, autour de l’artiste, un certain nombre de figures résumant les différentes composantes de la société française du milieu du XIXe siècle. Hopper reprend à son compte ce principe. Au centre, l’artiste portant béret, à côté d’un militaire en uniforme à épaulettes. En face, un clown blanc. Dans une lettre envoyée à sa mère en mai 1907, Hopper fait allusion à ce dernier, croisé au carnaval de la mi-Carême. Pierrot lunaire, hommage possible au Gilles de Watteau, admiré au Louvre. Debout, une fille de joie, décolleté plongeant, outrageusement maquillée. A droite, un couple bourgeois toise la scène. Étonnement ? Mépris ? Métaphore du jugement social ? A gauche, un proxénète semble tout à son affaire, jouissant de la situation. De ce « maquereau », on connaît un dessin préparatoire. Allégorie du profit, du calcul, de la cupidité ?

Par sa force esthétique et symbolique, Soir bleu s’inscrit à part dans l’œuvre de Hopper. Une scène de café parisien à la théâtralité évidente, imprégnée de mystère. Chef-d’œuvre précoce, d’une grande modernité, la large toile fut rejetée par la critique la seule fois où elle fut exposée au côté d’un tableau plus petit, New York Corner, lors d’une exposition collective au Mac-Dowell Club, à New York, en 1915. Hopper en fut très affecté. Au point de ne plus jamais la montrer. Roulée à l’abri des regards, la toile Soir bleu ne fut retrouvée et identifiée qu’après sa mort.

 

Hopper

Edward Hopper, Soir bleu, 1914, Whitney Museum of American Art, New York.

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