Chagall connu et inconnu

Du 14 mars 2003 Au 23 juin 2003
Grand Palais, Galeries nationales
Description

{Cette exposition est organisée par la Réunion des musées
nationaux et le Museum of Modern Art de San Francisco. Elle sera présentée
au San Francisco Museum of Modern Art du 26 juillet au 4 novembre 2003.

A Paris, l'exposition est réalisée grâce au mécénat
de Total.}

Le succès public de Chagall ne se dément pas. Il augmente
même régulièrement avec les années. En revanche,
son succès critique reste limité et son influence éventuelle
sur les jeunes artistes, problématique. En fait, il y a un divorce,
au sujet de Chagall, entre le public et la critique. Pour celle-ci il
y a deux Chagall : celui des années russes, du début
du siècle, artiste inventif, précurseur du surréalisme,
aux oeuvres pleines de fantaisie et d'imagination ; et celui
qui, à partir de son installation en France en 1925, devient un
peintre sentimental d'amoureux et de fleurs, un artiste qui aurait
perdu son talent ou se serait résigné à un certain
académisme.

Quant au public, autant qu'on puisse en juger, il semble aimer en Chagall
le peintre qui, dans ces époques de déconstruction de l'art,
propose, à l'inverse, de construire un monde artistique avec ses
images et ses symboles. Un monde qui serait comme un reflet de ce que la vie
peut proposer de meilleur, une " promesse de bonheur "
en somme, pour reprendre un mot de Stendhal sur l'art.

Plus de trente ans après la dernière rétrospective de
l'artiste à Paris, aux Galeries nationales du Grand Palais en
1969, le moment semble venu de revoir cette oeuvre, de suivre l'ensemble
de son parcours, de 1910 aux années 80, de mesurer son importance dans
l'époque et de permettre ainsi que soit porté sur elle
un jugement plus nuancé que celui qui oppose critique et public. C'est
ce que propose cette exposition à travers quelque 150 oeuvres (dont
78 peintures) réparties en cinq sections : les Années russes,
le Théâtre juif, la Galerie des Fables et des petits tableaux
français, la Bible et les Années françaises.

Le rapport de Chagall à l'art moderne n'est pas simple :
tout l'effort de cet artiste aura été de se démarquer
des artistes de son temps, non par orgueil, mais pour s'autoriser à
se laisser aller à son plaisir et à ses goûts. Ce faisant,
il aura aussi réussi à mettre en place une esthétique
personnelle fondée sur l'articulation de sa culture d'origine,
juive et russe, avec la modernité.

Fréquentant les cubistes en 1911, il réussit à ne pas
devenir un peintre cubiste ; proche de Malevitch et d'El Lissitzky
en 1918, il réussit à ne pas être un peintre suprématiste
et s 'éloigne de l'abstraction en évoquant, en
1920, le folklore juif ; admiré des surréalistes, il ne
les rejoint pas. Et dans les années trente, alors que l'époque
semble fermée à la Bible, il entreprend de l'illustrer
(Meyer Schapiro notait à propos de Chagall et de ces illustrations
que cette " anomalie prouve que les artistes contemporains ont en
eux beaucoup plus de possibilités que celles que les temps modernes
leur permettent de révéler, possibilités souvent ignorées
d'eux-mêmes ").

L'exposition choisit donc de montrer, en ne se limitant pas aux années
russes ou aux années méditerranéennes, un ensemble d'oeuvres
sélectionnées en fonction de ce qu'elles nous apprennent
sur le rapport de Chagall à l'art moderne d'une part, aux
thèmes traditionnels de la peinture d'autre part. Car Chagall
se voulait artiste et a eu très tôt l'ambition de construire
une oeuvre. C'est aux étapes de cette construction qu'est
consacrée l'exposition : rapport au cubisme, rapport au suprématisme,
rapport au surréalisme ; traitement du paysage ou du portrait.

Cet itinéraire artistique, qui traverse tout le vingtième siècle,
se double d'un itinéraire personnel qui mène Chagall de
la Russie vers la France. La construction d'une esthétique " chagallienne ",
hors des normes de l'art moderne, est en fait le produit de la rencontre
de deux cultures et de leur articulation dans ses oeuvres. L'exil
a donné à Chagall la possibilité, qu'il a su saisir,
d'être un artiste paradoxal et libre. L'exposition raconte
donc aussi cet itinéraire assez exceptionnel qui passe de la valorisation
du folklore juif (dans l{'Introduction au Théâtre juif,
}prêtée par la galerie Tretiakov de Moscou) à l'apprentissage
de la culture française par l'illustration des {Fables} de
La Fontaine (avec un ensemble d'oeuvres inédites, pour beaucoup
d'entre elles, issues de collections privées) et, d'une façon
plus générale, à l'affirmation du sens messianique
de l'art. C'est ce dernier Chagall qui est en fait le moins connu,
celui qui croyait en l'art, à une époque où, en
dépit des apparences, on n'y croit plus guère.