« Après les Tirs, la colère était partie, mais restait la souffrance ; puis la souffrance est partie et je me suis retrouvée dans l’atelier à faire des créatures joyeuses à la gloire de la femme. » (1)
25 سبتمبر 2014
|
Mickaël Pierson
10518 views
Hiver 1963 : Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely emménagent dans une ancienne auberge à Soisy-sur-Ecole. La taille de son atelier encourage l’artiste à déployer son travail et, de la peinture aux reliefs qu’elle fit jusqu’alors, à explorer la troisième dimension. Elle se lance dans une série de représentations féminines marquées par la violence (les Accouchements) ou la tristesse (les fantomatiques Mariées) qui la mènent aux premières Nanas au printemps 1965. Les Nanas se détachent du mur pour devenir des sculptures autonomes pour lesquelles l’artiste délaisse le tissu, les fils de laine et jouets d’enfants qu’elle utilisait au profit de figures lisses, colorées aux formes généreusement arrondies, bientôt réalisées en polyester.
Le modèle aurait été son amie Clarice Rivers enceinte dont plusieurs Nanas portent le prénom. Mais Niki évoque aussi la ressemblance de ses figures déhanchées avec les patineuses qu’elle observait enfant au Rockefeller Center à New York.
Bénédicte, 1965, collection particulière (c) Laurent Condominas
Dûment nommées, les Nanas sont pourtant moins des portraits personnels qu’une représentation offerte pour toutes les femmes. Niki de Saint Phalle y célèbre la libération des femmes et de leur parole hors des critères de beauté en vigueur dans une œuvre de résistance joyeuse et un féminisme tout personnel. Le titre de son exposition au Stedeljik Museum d’Amsterdam en 1967 annonce la couleur : « Le pouvoir aux Nanas ». « Nous avons bien le Black Power, alors pourquoi pas le Nana Power ? C’est vraiment la seule possibilité. Le communisme et le capitalisme ont échoué. Je pense que le temps est venu d’une nouvelle société matriarcale. Vous croyez que les gens continueraient à mourir de faim si les femmes s’en mêlaient ? Ces femmes qui mettent au monde, ont cette fonction de donner la vie – je ne peux pas m’empêcher de penser qu’elles pourraient faire un monde dans lequel je serais heureuse de vivre. »(2)
(1) Niki de Saint Phalle dans le documentaire Niki de Saint Phalle Who is the Monster ? - You or Me ? de Peter Schamoni (1996).
(2) Niki de Saint Phalle dans un entretien au Houston Post, 25 mars 1969, citée par Catherine Francblin, Niki de Saint Phalle, la révolte à l’œuvre, Paris, Hazan, 2013, p.133. (3) 27 mètres de long sur 9 mètres de large et 6 mètres de haut.