Œuvres commentées de Fragonard : Pâtre jouant de la flûte, bergère l’écoutant

Œuvres commentées de Fragonard : Pâtre jouant de la flûte, bergère l’écoutant

12 November 2015
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Jean-Honoré Fragonard, Pâtre jouant de la flûte, bergère l’écoutant,vers 1765 © Annecy, musées de l’agglomération d’Annecy (dépôt du musée du Louvre, MNR 870)

Pâtre jouant de la flûte, bergère l’écoutant





La composition fut une des rares choisies pour être exposées au Salon de 1765 qui scella le grand triomphe de Fragonard avec son Corésus et Callirhoé. C’est dire sans doute que l’artiste lui accordait une valeur exemplaire au point de la répliquer puisque deux versions au moins en sont connues. Prolixe à commenter la passion qui déferle du Corésus, Diderot se fait plus concis pour décrire « le pâtre debout sur une butte ; il joue de la flûte ; il a son chien à côté de lui avec une paysanne qui l’écoute. Du même côté une campagne » (Diderot, 1984a, p. 264). Contempteur de la sophistication pastorale de François Boucher, Diderot ne retient guère l’alternative offerte par Fragonard. Le philosophe se délecte plutôt des grandes scènes paysannes à thèse dépeintes par Jean-Baptiste Greuze telle la célèbre Accordée de village (1761, musée du Louvre). Pourtant, avec son pâtre qui joue de la flûte tandis que sa bergère le tient amoureusement par l’épaule, Fragonard entend revenir aux sources de l’églogue. Ses pasteurs ont abandonné les soyeux costumes de théâtre et les attitudes qui, chez Boucher, dénoncent les leçons de maintien.



À partir des années 1730-1740, la poésie pastorale traverse une crise en France (Niderst, 1987, p. 103-105). Dans son article consacré au sujet pour l’Encyclopédie (V, p. 428-431) Jean- François Marmontel rejette les deux écueils de la grossièreté et de l’excessive sophistication. Son juste milieu entre réalisme crotté et utopie courtoise, il l’applique lui-même dans ses Contes moraux (1761), immense succès de la décennie, avec son conte, La Bergère des Alpes. Parangon de la vertu pastorale, celle-ci se laisse séduire par la mélodie que joue au hautbois (variante de la flûte) Fonrose, feint berger (Marmontel, 1761, II, p. 62-63).
(détail)

Au début du conte, Marmontel décrit la « vallée solitaire » de Savoie où « sont répandues de loin en loin quelques cabanes de pasteurs, des torrents qui tombent des montagnes, des bouquets d’arbres plantés çà & là ». Les bergers amoureux de Fragonard font corps, eux aussi, avec le paysage. Au sentimentalisme bien-pensant de Marmontel Fragonard adjoint un élément subtil qui lui fait défaut : l’humour. Ses pasteurs fusionnent en un seul groupe statufié dont émerge un poétique roseau. Dans la mythologie, la nymphe Syrinx, pour échapper au désir du dieu Pan, fut transformée en roseau. Pan tailla la plante pour en faire une flûte.



Guillaume Faroult




 

 

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