Fantin-Latour et la musique

3 janvier 2017
Fantin-Latour a beau avoir fait de la peinture le centre de son existence, il est aussi très attentif aux innovations qui viennent bouleverser d’autres formes d’expressions artistiques à son époque. Le peintre est ainsi un grand mélomane.

Il se passionne pour des musiciens qui sont alors très mal reçus en France tels que Robert Schumann, Hector Berlioz ou encore Richard Wagner, dont il va entendre le cycle du Ring à Bayreuth en 1876. Fantin est séduit par l’ambition wagnerienne de créer une œuvre d’art totale et tente de traduire dans sa peinture les sensations que procure l’écoute d’une pièce musicale.

Plus que tout autre peintre de son temps, Henri Fantin-Latour est un fin connaisseur, un amateur ardent de cette « musique de l’avenir » qui agite alors les cercles initiés, provoque débats, violents rejets comme adhésions passionnées. Fantin-Latour traduit cet engouement dans deux types d’œuvres qui se complètent et se répondent : le culte des grands hommes et l’illustration de leurs œuvres. 



Focus sur Les filles du Rhin, 1876, Paris, Musée d'Orsay
Comme la plupart des amateurs de musique qui séjournent à Bayreuth en 1876, Henri Fantin-Latour est absolument sidéré par l’ouverture de L’Or du Rhin de Wagner, la scène la plus spectaculaire de la Tétralogie, saisissante de beauté, de puissance et de poésie. « Le début du Rheingold à l’orchestre, murmure sourd des eaux, le rideau s’écarte [...] et l’on distingue à peine, puis cela devient verdâtre puis, petit à petit, on voit des ondulations, puis des roches, puis les eaux s’éclairent, des formes s’agitent, des femmes viennent, s’en vont en chantant. C’est unique et dans la féerie et dans la musique. » 



 
Photo © RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

Très vite, il tire de cette scène une lithographie inspirée qui suscite de nombreux éloges et qu’il retravaille à plusieurs reprises. L'oeuvre du musée d’Orsay qui reprend ce motif est l’un des rares pastels de Fantin parvenu intact jusqu’à nous. Non seulement Fantin ne pratique que tardivement cette technique volontiers dédaignée jusque dans les années 1870, mais il en use en outre comme de la lithographie : satisfait de sa composition, il n’est pas rare qu’il recouvre son oeuvre d’une couche de peinture à l’huile, faisant ainsi disparaître le pastel originel. Le pastel des Filles du Rhin est lui-même le fruit d’un tel travail de reprise, puisque Fantin choisit de recouvrir complètement sa lithographie d’origine d’épaisses couches de pastel. Le pastel lui offre la possibilité de restituer avec d’infinies nuances la profondeur enchanteresse des eaux, l’évanescence des silhouettes, le caractère vibrant de la lumière, avec une délicatesse qui n’est pas sans évoquer le pinceau d’un Prud’hon. 



Dans cette œuvre surprenante, Fantin transcrit l’histoire de l’Or du Rhin, le prologue de la tétralogie de Wagner, à travers une composition complexe. La disposition en S des ondines évoque les vagues de l’élément aquatique dont elles proviennent, tandis que le bas de ce S se referme sur lui-même pour former un cercle parfait reliant les deux mains de la nymphe penchée vers le bas, celle de Flosshilde qui occupe une position centrale dans l’œuvre comme dans l’histoire, ainsi que le pied de cette dernière. Cette circularité rappelle le thème de l’anneau du Nibelung. Les couleurs claires et la matière vaporeuse du pastel contribuent à donner à la scène une dimension onirique.


Mots-clés
A lire aussi

les fééries de Fantin-Latour...

Article - 28 décembre 2016
« Je me fais plaisir » : par cette phrase écrite dans une lettre à son ami et marchand Edwards en 1869, Fantin-Latour évoque les œuvres dites « d’imagination » qui occupent une part croissante dans son œuvre au fil des années.
Tout le magazine