Hopper, peintre de l'attente

13 décembre 2012

Par Stéphane Renault, historien de l’art, critique, journaliste pour Beaux Arts magazine et l’Express

Peindre la vie quotidienne des classes moyennes américaines est chez Hopper un leitmotiv. Ce faisant, il se révèle un maître de l’attente. Inspiré par le cinéma, avant de l’inspirer à son tour.

Personnages esseulés, paysages désertés. Glissement subtil de l’instant suspendu au suspense. Il n’est pas anodin de constater combien Hopper s’inspire dans ses toiles de l’atmosphère des films noirs de son époque. Les Tueurs (The Killers, 1946), de Robert Siodmak, par exemple. Chef-d’œuvre, Nighthawks (1942) évoque une ambiance de polar. Un bar, des personnages, des attitudes, saisis dans un moment, sous des lumières de studio. Ce pourrait être la projection d’une scène de film sur une devanture faisant office d’écran. En lui-même, le tableau tient de l’affiche de cinéma.

 

Hopper

Edward Hopper, Nighthawks, 1942, Friends of American Art Collection © Art Institute of Chicago

En retour, les œuvres de Hopper ont inspiré les plus grands cinéastes. Jusqu’à Alfred Hitchcock en personne, qui aurait trouvé dans l’une de ses toiles, La maison près de la voie ferrée (House by the Railroad, 1925), le décor de son film Psychose (1960). A la vue de Night Windows (1928), on pense à Fenêtre sur cour (Rear Window, 1954), où le monde d’un homme se réduit à la taille de sa fenêtre, à observer les voisins d’en face.

Les tableaux de Hopper ont été créés parallèlement à l’âge d’or du cinéma narratif classique. Le plus souvent, ils montrent des décors en attente d’un événement. Le temps y est très allongé. Un temps étiré, presque contemplatif. Wim Wenders fait remarquer une qualité essentielle de sa peinture : Hopper y fait entrer la pensée de ce qui va se passer l’instant suivant. De fait, dans une scène en apparence figée, on s’attend à ce qu’il se passe quelque chose. Cette admiration pour son œuvre, ces ambiances, se retrouvent chez un autre cinéaste majeur, David Lynch.

A Cape Cod, à la fin de sa vie, Hopper s’assied, regarde les collines toute la journée. « Jo », sa femme, de l’autre côté de la maison, contemple, elle, la mer. Lorsqu’ils se croisent, ils se disputent. L’attente du fait, de l’action à venir - mêlée à un sentiment, voire un désir d’isolement - serait-elle une des clés de son œuvre ? Ses personnages tendent à s'abstraire du monde, absorbés plus que véritablement mélancoliques. Questionné à ce sujet, Hopper déclara : « C’est probablement le reflet de ma propre solitude, je ne sais pas, ou tout simplement la condition humaine. » La vie qui file, avec le temps… Le besoin impérieux de saisir, capter l’instant. A travers la peinture, interroger nos propres interrogations. Qu’attendons-nous ? Que savons-nous de ce qui nous attend ? Dans l’expression de cette attente, Hopper aura su capturer comme personne l’ultra-moderne solitude.

(Extrait du DVD) Retrouvez le film documentaire "La toile blanche d'Edward Hopper" de Jean-Pierre Devillers sur boutiquedemusees.fr

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