La Renaissance anglaise et les Tudors

16 juin 2015
Les Tudors : une ère riche d'Histoire et de prospérité, aussi pour les artistes anglais...

Parmi les meilleurs artistes travaillant à la cour d’Angleterre se trouvaient des émigrés venant des Pays-Bas, de France et d’Italie. Sous Élisabeth Ire, à la suite des persécutions contre les protestants en France et dans les Pays-Bas, leur nombre s’accrut encore. Certains ne restaient en Angleterre que le temps de commandes spécifiques comme Pietro Torrigiano, auquel Henri VIII avait fait appel pour concevoir la tombe de son père, ou Anthonis Mor qui fit le portrait de Marie Ire à la demande de son bienfaiteur Habsbourg Philippe d’Espagne.


Portrait anamorphique d’Édouard VI, attribué à Guillim Scrots, 1546, Londres, National Portrait Gallery



Un cercle plus restreint d’artistes émigrés obtinrent des positions officielles à la cour, comme Hans Holbein, nommé « peintre du roi » sous Henri VIII, ou l’artiste Guillim Scrots, originaire des Pays-Bas, qui lui succéda à ce poste, au service d’Édouard VI. Scrots est l’auteur de l’amusant portrait anamorphique d’Édouard VI dont la perspective correcte n’est visible qu’en se positionnant sur le côté. Qu’il se soit lancé dans un tel tour de force d’illusion, si difficile à concevoir et méticuleux à réaliser, montre à quel point la cour d’Angleterre, à cette date, était férue de complexité visuelle.


Élisabeth Ire dit Le Portrait au Phénix, associé à Nicholas Hilliard, vers 1575, Londres, National Portrait Gallery

Si la documentation atteste que des peintres affluèrent de toute l’Europe pour travailler en Angleterre, leur attribuer les œuvres qui subsistent s’avère souvent difficile. Leur influence sur la peinture anglaise est cependant évidente. Les premiers portraits d’Henri VIII, par exemple, quoique d’auteurs inconnus, s’inscrivent manifestement dans un contexte d’échanges artistiques entre l’Angleterre et les Pays-Bas : la collaboration entre peintres immigrés et autochtones stimulait le transfert des savoirs et des techniques. Et, à en juger par les quelques exemples subsistants, les œuvres qui sont peintes par des artistes du cru montrent que ceux-ci étaient moins bien formés que leurs homologues continentaux. Lorsque Richard Haydocke voulut distinguer une poignée d’artistes anglais pour leur savoir-faire (en particulier Nicholas Hilliard), il s’émerveilla qu’ils aient « pu approcher de si près la perfection des maîtres anciens avec le peu d’aide que notre pays (à ma connaissance) leur a accordé ».





Avec sa traduction du célèbre traité sur la peinture de Giovanni Paolo Lomazzo, publié en 159819, Haydocke voulait offrir un guide pratique susceptible de relever le niveau artistique en Angleterre, en expliquant aux commanditaires comment évaluer une peinture et aux artistes comment perfectionner leur art. Mais si on peut juger l’Angleterre en retard sur le plan artistique, au regard du renouveau culturel de l’Europe continentale, il ne faut pas oublier qu’une grande partie des œuvres et des objets de l’époque sont perdus. Le peu d’œuvres qui subsistent donnent des indices mais, à l’évidence, la perte des peintures murales narratives, des tentures et des luxueux décors temporaires élaborés pour les divertissements royaux compromet la compréhension de cette Renaissance anglaise émergente. Les connaisseurs y appréciaient grandement la manière dont le mot et l’image pouvaient se marier en une savante composition, sorte de « théâtre peint » où le sujet était traité à la fois par des allégories, des symboles et des éléments narratifs.



Au milieu du règne d’Élisabeth Ire, il est clair qu’une esthétique proprement anglaise apparaît. Le portrait de la reine dit au Phénix en révèle les caractéristiques : un rendu méticuleux des tissus brodés, des transparences de la dentelle, du lustre des joyaux et des boucles de cheveux de la souveraine, qui contraste avec le visage austère et assez sommaire dans ses formes. S’il n’est pas de la main de Nicholas Hilliard, celui-ci a dû au moins y participer, car le tableau rappelle fortement une miniature de lui datant de 1572. Reconnu et apprécié, le style de Hilliard, fondé sur une maîtrise du dessin et une exquise minutie d’exécution, est caractéristique de la peinture anglaise de cette période. Il ne s’agit pas d’aboutir à une représentation « naturaliste » de la reine, et la copie conforme, trait pour trait, de son apparence physique, n’est pas primordiale. Cette option stylistique, qu’il serait erroné d’interpréter comme une défaillance technique, suit le code visuel alors en vigueur en Angleterre. Ce parti pris s’explique, au moins en partie, par une méfiance toute protestante à l’égard des images et de leur usage, une méfiance motivée par une lecture littérale de la Bible qui condamne l’adoration des idoles.





Charlotte Bolland et Tarnya Cooper

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