Les combats de Niki de Saint Phalle
Plus direct encore, en 1962, son Autel O.A.S. est un triptyque doré dont le panneau central est occupé par une chauve-souris hurlante et dont les symboles religieux s’accompagnent de bébés décharnés et de revolvers. Si l’artiste évoque malicieusement son autel comme une Œuvre d’Art Sacrée, le titre ne manque pas d’évoquer l’Organisation Armée Secrète qui défend par la violence la présence française en Algérie.
Cette même année, Niki traite de la crise des missiles de Cuba dans le tableau-tir King Kong dans lequel le monstre gigantesque s’approche d’une ville bombardée suivi par les figures de Castro, Lincoln, De Gaulle, Washington, Kennedy et Khrouchtchev. On retrouve les visages de ces deux derniers montés sur un même corps féminin en 1963 pour évoquer la nécessaire cohabitation et l’apaisement fragile des tensions de la Guerre froide.
Ce regard sans concession sur son pays d’enfance, elle le retrouve dans une série de dessins au début des années 2000 où elle s’en prend violemment à la politique de George Bush.
L’œuvre de Niki de Saint Phalle est par essence œuvre de tolérance. Eduquée dans un contexte antiraciste – ce qui n’est pas si fréquent dans l’Amérique des années 1930-50 – elle représente très vite des Nanas noires. La première, en 1966, est Black Rosy peut-être en référence à Rosa Parks, devenue célèbre en 1955 en refusant de céder sa place à un passager blanc dans un bus. Trouvant les personnalités noires insuffisamment reconnues, elle leur consacre en 1998 une série de sculptures : les Black Heroes. « Combien de noirs ai-je fait ? Des centaines ? Pourquoi, moi, une blanche, est-ce que je fais des noirs ? Je m’identifie à tous les gens qui sont des outsiders, qui ont été persécutés d’une façon ou d’une autre par la société. Le noir est moi, ils sont moi ! » (1)
Farouche défenseuse des opprimés, Niki multiplie les combats. Elle envisage à la fin des années 1960, alors qu’elle fréquente Etienne Baulieu créateur de la pilule abortive, une sérigraphie sur la pilule. Allergique à la fumée, elle insère, en 1981, un ironique « no smoking » sur le décor d’un petit avion réalisé à la demande de la marque de cigarettes Stuyvesant et signe même les illustrations d’une méthode pour arrêter de fumer en 1993. (2)
Surtout, elle s’illustre dans la lutte contre le sida dont elle représente le fléau dans plusieurs œuvres. En 1986, elle édite avec le médecin Silvio Barandun le livre Le Sida, c’est facile à éviter, traduit en six langues. Sous la forme d’une lettre à ses enfants, elle entreprend avec humour d’éveiller à la prévention et de briser le tabou de la maladie. 70 000 exemplaires sont vendus ou distribués dans les écoles, les profits sont reversés à l’association AIDS. Le livre est réédité et complété des récentes avancées scientifiques en 1990 et s’accompagne d’un film d’animation réalisé avec son fils.
L’un des derniers combats sera peut-être le plus personnel. En 1994, elle publie Mon Secret dans lequel elle dévoile le viol commis par son père l’été de ses onze ans. Ecrit comme une lettre à sa fille, l’ouvrage cherche à briser le silence dans lequel s’enferment les victimes de violences sexuelles infantiles et s’achève sur ces mots : « Un jour je ferai un livre pour apprendre aux enfants comment se protéger. »
1.Niki de Saint Phalle, citée par Catherine Francblin, Niki de Saint Phalle, la révolte à l’œuvre, Paris, Hazan, 2013, p.389
2.Margret Rihs et Heidi Lotti, L’art de vivre sans fumer … et savourer un nouveau plaisir de vivre, 1993, 2000, Editions Médecine & Hygiène, Chêne-Bourg.
Mickaël Pierson