Les films du vendredi 12h : Ruy Blas

9 avril 2015
Ne vous avisez pas d’évoquer l’adaptation du Ruy Blas de Victor Hugo par Pierre Billon à un amoureux de la littérature, sous peine de subir son regard réprobateur. Malheureusement, la relecture de cette pièce de théâtre par le septième art est davantage connue pour ses critiques que son véritable intérêt en tant qu’objet d’art. Mais qui se soucie des critiques quand Jean Cocteau et Jean Marais sont à nouveau réunis ?

Durant l’été 1946, Jean Cocteau décide de se réapproprier les vers du dramaturge préféré des profs de français. Ivre de vie, le Ruy Blas de Cocteau est à bien des égards très loin de celui de Hugo. Mais si les libertés prises par l’académicien ne sont pas du goût de tout le monde – critiques et profs de français confondus – elles ne sont en rien hasardeuses. Cocteau, lorsqu’il écrivit le scénario du film, n’en était pas à sa première adaptation. L’homme aimait saisir la matière première de son sujet, la décortiquer, en réassembler le cœur pour finir par disposer à sa guise les organes que celui-ci servirait à faire vivre. Le rapport qu’entretenait Cocteau avec les textes dits « classiques » est de notoriété publique. L’enjeu pour lui, malgré l’amour qu’il pouvait leur porter, fut toujours de les rendre abordables pour le grand public, la jeunesse, de leur donner une certaine vraisemblance poétique. D’aucuns ont ainsi trouvé de l’irrespect dans cette audacieuse adaptation, farouchement émancipée de l’autorité paternelle hugolienne.

 


Pourtant, en 2015, le spectateur est obligé de s’y résoudre : ce Ruy Blas des années 1950 est incroyablement contemporain. S’il vieillit, ce n’est peut-être que dans ses manières de poseur, un vilain toc qu’aucun esprit de la génération adepte des selfie sticks ne saurait reprocher à Jean Marais, et qui ajoute à la prestance de son personnage. Une esthétique et un amour de l’excès qui dépassent par ailleurs le jeu de l’acteur. Car, bien qu’il ne soit pas à la réalisation, l’influence de Cocteau va au-delà de ses mots. Sa présence avérée sur le tournage se constate rapidement. Il est facile de voir sa touche dans les décors, de l’église espagnole au faste de la cour et ses sujets, tous apprêtés de leurs costumes royaux et somptueux, mais aussi dans l’embellissement et la fascination qui nourrissent chaque apparition de Jean Marais. Cette adaptation de Ruy Blas, grâce aux modifications draconiennes de l’écrivain, nécessaires à sa retranscription à l’écran, nous fait voyager à travers les yeux du jeune homme, naïf et courageux, dont l’usurpation d’identité est cent fois plus palpitante que la promo virale d’un film de Kassovitz. Le long-métrage a ce charme indéniable des productions de l’époque, entre une photographie picturale qui nous évoque les grands peintres espagnols (Greco et Goya, selon les désirs de Cocteau), et la théâtralité gracile de ses acteurs. Ne perdez pas votre temps à écouter les critiques. Et croyez-nous sur parole, rien ne vaudra jamais une déclaration d’amour faite par Jean Marais à la Reine d’Espagne dans un film du siècle dernier. 















Ruy Blas De Pierre Billon, 1948, avec Jean Marais, Danielle Darrieux et Marcel Herrand, 1h33

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