Les Nanas au pouvoir

25 septembre 2014
« Après les Tirs, la colère était partie, mais restait la souffrance ; puis la souffrance est partie et je me suis retrouvée dans l’atelier à faire des créatures joyeuses à la gloire de la femme. » (1)

Hiver 1963 : Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely emménagent dans une ancienne auberge à Soisy-sur-Ecole. La taille de son atelier encourage l’artiste à déployer son travail et, de la peinture aux reliefs qu’elle fit jusqu’alors, à explorer la troisième dimension. Elle se lance dans une série de représentations féminines marquées par la violence (les Accouchements) ou la tristesse (les fantomatiques Mariées) qui la mènent aux premières Nanas au printemps 1965. Les Nanas se détachent du mur pour devenir des sculptures autonomes pour lesquelles l’artiste délaisse le tissu, les fils de laine et jouets d’enfants qu’elle utilisait au profit de figures lisses, colorées aux formes généreusement arrondies, bientôt réalisées en polyester.

Le modèle aurait été son amie Clarice Rivers enceinte dont plusieurs Nanas portent le prénom. Mais Niki évoque aussi la ressemblance de ses figures déhanchées avec les patineuses qu’elle observait enfant au Rockefeller Center à New York.


Bénédicte, 1965, collection particulière (c) Laurent Condominas



Dûment nommées, les Nanas sont pourtant moins des portraits personnels qu’une représentation offerte pour toutes les femmes. Niki de Saint Phalle y célèbre la libération des femmes et de leur parole hors des critères de beauté en vigueur dans une œuvre de résistance joyeuse et un féminisme tout personnel. Le titre de son exposition au Stedeljik Museum d’Amsterdam en 1967 annonce la couleur : « Le pouvoir aux Nanas ». « Nous avons bien le Black Power, alors pourquoi pas le Nana Power ? C’est vraiment la seule possibilité. Le communisme et le capitalisme ont échoué. Je pense que le temps est venu d’une nouvelle société matriarcale. Vous croyez que les gens continueraient à mourir de faim si les femmes s’en mêlaient ? Ces femmes qui mettent au monde, ont cette fonction de donner la vie – je ne peux pas m’empêcher de penser qu’elles pourraient faire un monde dans lequel je serais heureuse de vivre. »(2)

 

Dolorès, Sprengel Museum, Hanovre © 2014 Niki Charitable Art Foundation, All rights reserved. Donation Niki de Saint Phalle

Les Nanas comme projet de vie ? C’est ce qu’on peut penser tant l’artiste dépensa d’énergie à convertir ses Nanas en projets architecturaux. On l’observe dans les dessins d’époque et dans des réalisations comme l’immense Nana pénétrable(3)Hon-en katedral – en collaboration avec Jean Tinguely et Per Olof Ultvedt au Moderna Museet de Stockholm en 1966, ou les nombreuses Nanas-maisons, ces Nanas habitables dont elle fit même une version pérenne pour son ami le metteur en scène Rainer von Diez à La Garde-Freinet. Niki voyait, dans les années 1960, ses Nanas comme les maquettes d’une immense Nana-cité à venir qu’elle disposerait dans le désert américain et dans laquelle elle pourrait vivre. Nanas-maisons, Nanas-fontaines et même des éditions de Nanas gonflables vendues à bas prix…

Succès aidant, les Nanas envahissent le monde diffusant dans leur sillage la pensée féministe, sociale et politique d’une artiste dont la révolte et l’ambition se parent des couleurs de la joie, de l’humour et de l’enfance.

 

 

(1) Niki de Saint Phalle dans le documentaire Niki de Saint Phalle Who is the Monster ? - You or Me ? de Peter Schamoni (1996).

(2) Niki de Saint Phalle dans un entretien au Houston Post, 25 mars 1969, citée par Catherine Francblin, Niki de Saint Phalle, la révolte à l’œuvre, Paris, Hazan, 2013, p.133.


(3) 27 mètres de long sur 9 mètres de large et 6 mètres de haut.

 






































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