Lucien Clergue : les albums
L’âme tourmentée par une adolescence douloureuse, mais fort d’une assurance dispensée par sa mère qui voit en lui un artiste en devenir, Lucien Clergue trouve rapidement les moyens de traduire sa mélancolie par la photographie qu’il commence tout juste à pratiquer. Dans le commerce familial ou chez un fournisseur du voisinage, il récupère des catalogues de tissus dont il arrache les échantillons pour coller à leur place les contacts de ses négatifs. Les albums correspondent aux collections saisonnières des fabricants ; ils sont donc datés, ce qui en fait ainsi des documents pour l’Histoire. Véritable outil de recherche de la meilleure image – le négatif grand format en permet une grande lisibilité – les albums montrent, page après page, image par image, la progression du travail de Lucien Clergue, ses hésitations, ses intuitions, ses certitudes, ses avancées vers ce qui constituera la quintessence de son oeuvre.
Cette pratique n’est plus possible aujourd’hui pour les photographes, le numérique ayant fait disparaître les planches-contacts sur papier ; pour les adeptes de l’argentique, les planches-contacts, récentes ou historiques, avec leurs annotations, leur sélection au crayon gras, sont l’objet de tous les soins. La série d’albums s’arrête en 1956. Lucien Clergue abandonne en effet cette pratique au fur et à mesure qu’il prend pleinement possession de son métier, conscient de la direction qu’il veut donner à son travail et de sa place parmi les photographes. Ces albums, qui s’inscrivent dans un court laps de temps et qui indiquent très tôt les axes forts de l’oeuvre de Lucien Clergue ainsi que la puissance de son intuition dès ses débuts dans la photographie, ont très naturellement constitué le fil conducteur de cette première exposition majeure de Lucien Clergue, un an après sa disparition.