Monumenta : un monde intérieur

10 juin 2014
Flânerie autour d’édifices divers, le parcours de L’Etrange cité devient peu à peu un voyage intime.

La Chapelle sombre, Monumenta 2014, Ilya et Emilia Kabakov, L'étrange cité, Photo Didier Plowy pour la Réunion des musées nationaux - Grand Palais

Longtemps les villes ont été organisées autour d’édifices religieux. On en retrouve les stigmates dans L’Etrange cité. Tels des vestiges d’un ancien culte aujourd’hui délaissé, les bâtiments ont perdu leur fonction liturgique et se sont vus requalifiés de manière profane. Une immense coupole est déposée sur le flanc à l’extérieur de la cité et voit ses vitraux s’animer de couleurs. Conçu à l’origine comme dispositif scénique pour la présentation de l’opéra Saint-François d’Assise d’Olivier Messiaen en 2003 à Bochum, elle répond à la théorie de la correspondance entre la lumière et les couleurs du compositeur Alexandre Scriabine et accueille de nouveaux spectacles. A l’extrémité sud, la cité s’achève par deux chapelles  dont les proportions sont reprises sur celles de l’atelier des artistes.

Déconsacrées, elles accueillent les toiles d’Ilya Kabakov qui en recouvrent les murs comme autant de fresques.  Dans La Chapelle blanche, seuls des fragments d’images subsistent sur les peintures : paysages enneigés, vues de villes ou de la vie quotidienne, entre souvenir de l’impressionnisme et traces du réalisme socialiste. Ces toiles récentes resituent Ilya Kabakov comme peintre et rappellent ses premiers tableaux (Russian Series, 1969) dans lesquels la représentation était engloutie dans une masse monochrome terne, celle de la peinture industrielle qui recouvrait  sols et toits dans la Russie soviétique. Ici le blanc éclatant signe autant la disparition de l’image que la possibilité pour le visiteur d’en reconquérir les espaces manquants.

Tout aussi saisissante, La Chapelle sombre à l’éclairage zénithal accueille, elle, deux immenses triptyques mêlant les souvenirs personnels du peintre.  



Mais les souvenirs s’estompent, l’image se désagrège. Les deux chapelles deviennent alors autant de monuments à la mémoire dont seules quelques bribes fugaces viennent marquer la surface des tableaux.

Un effacement encore plus fort se produit à l’entrée de la cité dans Le Musée vide. Dans un décor de musée traditionnel, les œuvres ont disparu – ou n’ont peut-être jamais été là – et ne restent que le halo lumineux de l’éclairage sur les murs nus.

Tout pourtant est fait pour le confort et la délectation du visiteur : ce vide est bien à observer. La Passacaille de Johan Sebastian Bach qui résonne dans l’espace renforce cette dimension de recueillement solennel. C’est, dès l’entrée de leur cité, à une véritable introspection qu’invitent les artistes. « Nous voudrions permettre à autrui de réfléchir sur sa vie, son âme, ses buts, la société qu’il désire. L’écarter du quotidien, du monde des loisirs, pour le forcer à penser. » (1) Ne plus forcément imposer des images, mais en susciter de nouvelles chez le visiteur. Le parcours de L’Etrange cité peut alors se prolonger comme une plongée dans son monde intérieur.  





(1)    Ilya et Emilia Kabakov in Emmanuelle Lequeux et Fabrice Bousteau, « Visite d’atelier. Les Kabakov préparent Monumenta », Beaux-Arts Magazine, n°359, mai 2014.

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