Mystères autour des Oiseaux de Strasbourg

21 mai 2012

Par Emmanuelle Héran, commissaire de l'exposition

 



 

Certains historiens de l’art pratiquent ce qu’on appelle l’attribution. Cela signifie qu’ils sont capables d’identifier l’auteur d’une œuvre anonyme. En effet, autrefois, les artistes n’apposaient pas leur signature sur leurs œuvres. Ce travail est très compliqué à mener, en particulier lorsqu’une œuvre semble unique, lorsqu’on ne lui connaît rien de semblable. Tel est le cas de ce fascinant tableau, conservé au musée des Beaux-Arts de Strasbourg, qui représente soixante-et-onze oiseaux. On sait seulement à son propos qu’il a été acheté en 1941 à Neuilly à un certain « M. Aubry » et surtout qu’il est daté de 1619 - date bien visible, en lettres d’or, en bas à gauche.

Un historien de l’art procède par accumulation et comparaison. Il emmagasine dans sa mémoire des milliers d’œuvres d’art et son œil s’habitue à toutes sortes de manières de peindre, de « styles ». Quand il ne connaît pas une œuvre, il convoque ce répertoire mémoriel et il parvient à la situer dans le temps et dans l’espace en procédant par comparaisons. Cependant, dans le cas de ce tableau, aucune comparaison ne semble possible. Aucun autre tableau n’existe, à notre connaissance, qui concentre autant d’oiseaux dans une surface aussi réduite. Au XVIIe siècle, il existe pourtant une tradition dans la peinture du Nord de l’Europe que l’on appelle le « concert d’oiseaux » (« concert van vogels » en néerlandais). Plusieurs peintres flamands, comme Jan Brueghel l’Ancien, dit Brueghel de Velours (1568-1625), Frans Snyders (1579-1657) ou Jan Van Kessel le Vieux (1629-1679) se sont illustrés dans des représentations d’oiseaux, répartis sur les branches d’un arbre, interprétant une partition de musique. Du point de vue des dates, Brueghel de Velours et Snyders pourraient avoir peint ce tableau en 1619, le premier à l’âge de 51 ans, le second à 40 ans. Cependant, la manière dont sont peints les oiseaux du tableau de Strasbourg  n’a rien à voir avec celle de ces peintres. On a plutôt le sentiment qu’il a consulté des traités de zoologie illustrés ou qu’il a regardé des oiseaux naturalisés, « empaillés » comme on disait alors. Par ailleurs, aucun « concert » ne cumule des oiseaux de manière aussi enchevêtrée que dans celui de Strasbourg. En effet, ce qui frappe, c’est l’horreur du vide dont il témoigne. Chaque espace est occupé. On peut repérer un arbre mort, au milieu, qui porte des oiseaux, et plusieurs arbrisseaux secs, dont l’extrémité des branches est rompue. Ce dispositif permet d’installer partout des oiseaux et de les imbriquer de manière très particulière.

Le lieu de production de ce tableau est une autre énigme. Où a-t-il été peint ? Un début de réponse nous est fourni par l’étude des espèces d’oiseaux représentées. En consultant un ornithologue, Jacques Cuisin, nous avons pu récolter un indice précieux. Derrière les pattes du flamant rose, qui forme l’axe vertical du tableau, on aperçoit un oiseau noir, court sur pattes, avec un bec rouge. C’est un ibis chauve juvénile – pas encore chauve -, dont le nom savant est Geronticus eremita. Or on sait que cet oiseau a été très répandu dans les pays germaniques, avant de disparaître vers 1630-1650. Comment a-t-il disparu ? Eh bien il a été chassé pour sa chair ! On prenait les oisillons dans leur nid et on les mangeait. Aujourd’hui, il ne reste plus beaucoup d’ibis chauves, seulement en Afrique du Nord… Pour le moment, nous pensons donc que ce tableau a été peint en 1619 dans une sphère géographique correspondant au plus large aux actuelles Allemagne, Suisse et Autriche. Quant au peintre, il reste à identifier…  

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