Œuvres commentées de Fragonard : L'Amour folie

13 janvier 2016
Pour vous faire découvrir un peu plus l'univers de l'exposition "Fragonard amoureux. Galant et libertin" plongez dans les tableaux du Divin Frago...

Jean-Honoré Fragonard, L'Amour Folie, huile sur toile, vers 1775, Washington, National Gallery of Art, en mémoire de Kate Seney Simpson

L’Amour folie



Cette composition fut une des plus souvent reprises par Fragonard qui l’associa généralement à une autre représentant L’Amour en sentinelle. En 1777 et 1778, Jean- François Janinet les reprit en gravures. La National Gallery de Washington conserve ainsi deux de ces paires et, dans son catalogue de 1989, Pierre Rosenberg recense près d’une dizaine de versions (p. 102-103). Ces petits cupidons joueurs sont enfin associés au cycle des Progrès de l’amour conçu vers 1771 pour Louveciennes et finalement installé en 1791 dans la villa de son cousin Honoré Maubert à Grasse (Molotiu, 2001  et Bailey, 2011, p. 23-31).



Fragonard se retira en effet à Grasse au début de la Révolution et l’on considère que les remaniements qu’il fit subir à l’ensemble conçu pour Mme Du Barry vingt ans plus tôt constituent sans doute sa dernière entreprise majeure dans le domaine pictural. Il est ainsi particulièrement émouvant de se représenter Fragonard vieillissant, très éprouvé par le décès de sa file Rosalie à l’âge de dix-huit ans en 1788, abandonner pour jamais les pinceaux avec ses plus ambitieuses variations sur le raffinement du sentiment amoureux. Pour beaucoup l’installation du cycle à Grasse correspond au chant du cygne de l’artiste, dont l’interprétation varie entre une relecture mélancolique de l’oeuvre (Cuzin, 1987, p. 233 ; Dupuy-Vachey, 2006, p. 239) ou la dernière affirmation solaire et panthéiste des prestiges du jardin d’amour (Molotiu, 2001). Les dernières peintures de Frago, sans doute conçues et exécutées en 1790, pour compléter le cycle dans sa version grassoise, développent une dernière fois la topique du jardin dédié au petit dieu Éros. Ainsi, outre quatre panneaux décoratifs figurant des roses trémières, elles représentent L’Amour triomphant et Rêverie ainsi quatre petits Amours en dessus-de-porte, dont une version de L’Amour Folie. La technique se fait alors diaphane, aux franges de l’évanescence, profitant sans doute de l’expérience des Allégories de la décennie précédente. Symboliquement la peinture de Fragonard s’évanouit dans la retraite (tout au moins au sens géographique) à l’aube de la Révolution.



La peinture de Washington est antérieure à ce crépuscule. Variation libre et enjouée à partir des petits Amours de Boucher avec lesquels Fragonard a initié sa carrière, la composition est une réponse malicieuse et éthérée à la statue emblématique de Falcon et L’Amour menaçant qui ponctue fréquemment les édens picturaux de Frago. Nous la retenons comme épilogue de notre voyage en compagnie du maître parisien. L’amour folie nous sourit et agite sa marotte en geste de défi à l’adresse des glosateurs…. Fragonard achève allègrement un siècle aux portes de la Révolution et juste avant les relectures grimaçantes et tuméfiées que Sade va proposer du libertinage.



Guillaume Faroult



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