Œuvres commentées d'Élisabeth : Portrait de l’artiste en costume de voyage

9 décembre 2015
Pour vous faire découvrir un peu plus l'exposition Élisabeth Louise Vigée Le Brun jusqu'au 11 janvier 2016 plongez dans les tableaux de la célèbre portraitiste...


1789-1790 Pastel sur papier 
H. 50 ; L. 40 cm
 New York, collection particulière

Portrait de l’artiste

en costume de voyage




N’était le moment de son exécution, ce pourrait être une image de la « douce mélancolie » ou de l’incertitude amoureuse, pour ne pas dire plus. Tout comme la bouche sensuellement ourlée et close, les yeux d’un beau vague sont là pour jeter le trouble. Quand on sait que ce pastel, où l’artiste s’est indéniablement rajeunie et embellie, fut donné au peintre François Guillaume Ménageot, la tentation est grande de rêver sur le sens de cette offrande du cœur.

De surcroît, le souvenir y est évident des ambiguïtés chères à Greuze et à Rosalba Carriera, tout en caresses lumineuses et épidermes veloutés. Pourtant, sa date nous ramène aux premiers mois de l’exil romain, après que l’artiste eut quitté un pays qu’elle croyait condamné au pire. Vigée Le Brun se présente, du reste, dans la simple tenue d’une voyageuse. La mousseline où s’enroulent de jolis cheveux bouclés symbolise son nouvel état. Des vanités mondaines, en somme, elle n’a conservé que la plus élémentaire des coquetteries.

Existait-il de meilleure riposte que cette simplicité aux libelles calomnieux qui l’avaient visée à la veille de la Révolution ? En 1789, Calonne, autre cible de cette campagne de diffamation, conseillait à son amie « de laisser dire ceux qui n’ont d’autres ressources que de mal dire et continuer d’être ce qu’on a été en se reposant sur la certitude de n’avoir pas de reproche à se faire » (Vigée Le Brun, 2008, p. 36).



Le présent autoportrait adhère pleinement à cette stratégie. La sobriété des bruns et des blancs rompus de noir, bien faits pour exalter le regard humide et le rose des lèvres, enregistre à sa manière un moment de transition, que l’œuvre désigne à la fois comme douloureux et aventureux. Vigée Le Brun n’a pas attendu l’écriture des Souvenirs pour dégager le romanesque de son existence nomade. Que l’art serve aussi à fixer les aléas du destin et à reconstruire une « image de soi » toujours flatteuse, nous en avons la preuve géniale ici. Ainsi que le notent Katharine Baetjer et Marjorie Shelley, le pastel est, par excellence, la technique des voyageurs. Le médium, c’est le message, disait Marshall McLuhan.

Un dernier mot : dans la liste des œuvres qu’elle dit avoir exécutées en 1789 (Vigée Le Brun, 1835-1837, I, p. 337), l’artiste mentionne un autoportrait au pastel (« 1 Mon portrait au pastel »). Il nous est impossible d’affirmer catégoriquement qu’il s’agit du pastel présenté ici. Si tel était le cas, Vigée l’a peut-être ébauché avant de quitter Paris pour Rome, la nuit du 5 octobre 1789, en signe d’adieu à celle qu’elle avait été.



Stéphane Guégan


 

 

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