Scènes de la vie conjugale

27 décembre 2012

Par Stéphane Renault, historien de l’art, critique, journaliste pour Beaux Arts magazine et l’Express.

La figure du couple revient fréquemment dans les tableaux d’Edward Hopper. Comment traite-t-il le sujet ? Quelle impression ressort de ces toiles ? Quel sens lui donner ? Faut-il y voir un reflet de son propre mariage, une projection du couple qu’il forma durant plus de quarante ans avec Josephine, son épouse, également artiste ?

Il est toujours délicat d’interpréter stricto sensu une œuvre à l’aune de la vie de son auteur. Au risque de succomber à une lecture littérale, au premier degré. La tentation biographique ferait vite oublier la part essentielle de l’imaginaire dans la création. Voir dans les tableaux d’Edward Hopper l’unique retranscription du vécu de l’artiste, de son expérience existentielle, s’avère forcément réducteur.

Ceci posé, que dire de la représentation du couple dans sa peinture ? Quelle part donner à l’observation sociologique - celle de la nouvelle société américaine - pointant le hiatus grandissant entre l’attachement conservateur à la stabilité de valeurs traditionnelles et l’émergence de nouveaux modes de vie urbains, une modernité à l’évidence marquée par davantage de libéralités et d’individualisme ? Quelle place accorder à l’influence de sa propre expérience du couple, depuis son mariage à New York le 9 juillet 1924 avec Josephine Verstille Nivison, dont il s’est épris l’été précédent lors d’un séjour à Gloucester, alors qu’ils peignent ensemble en plein air ? « Jo », dont la jalousie fit d’elle le modèle principal de la figure féminine dans ses tableaux. Selon la formule de leur ami Brian O’Doherty, une femme « impressionnante et peu commune… répondant souvent aux questions que l’on posait à son mari ». Capable en outre d’entamer en 1946 une grève de la faim en réponse au manque de reconnaissance de son propre travail.

On connaît la vie des Hopper. Le couple traverse des tensions, finit par cohabiter, avec souvent pour seul point de rencontre la dispute. Deux isolements, deux solitudes. A l’instar de ce couple de Room in New York (1932). Deux présences qui s’ignorent, un ennui partagé. Dans la peinture de Hopper, l’idée d’incommunicabilité est prégnante, celle-là même que l’on retrouvera plus tard dans les films d’Antonioni, tel La Notte (1961). Cette manière d’être à côté de l’autre et dans le même temps ailleurs, dans une forme d’absorbement, se retrouve dans plusieurs toiles : Hotel by a railroad (1952), Sea watchers (1952) ou encore dans deux œuvres qui semblent se répondre : Summer in the city (1949) et Excursion into Philosophy (1959).

Que penser enfin de la dernière toile d’Hopper (1965) ? Le grand peintre réaliste s’y représente avec son épouse sur scène, en Pierrot et Pierrette, revêtus des habits immaculés des amants éternels du chef-d’œuvre de Marcel Carné Les Enfants du paradis (1945), qui les a enchantés quelques années auparavant. Avant que le rideau ne tombe (Edward meurt en 1967, Jo l’année suivante), à la fois un hommage et un ultime salut. Son titre ? Two comedians

 

hopper

Edward Hopper, Excursion into Philosophy, 1959 © collection particulière

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