Sous le soleil exactement

26 août 2013
« Quand la couleur est à sa richesse, la forme est à sa plénitude »

Les Alyscamps de Paul Gauguin © RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski


 

Si le soleil du midi exalte les couleurs, vives et chatoyantes sous la lumière méditerranéenne, il découpe aussi les formes, cernées par des ombres profondes.

Ainsi, dans ce "grand atelier du midi", va se résoudre l’impossible équation qui voit s’opposer depuis le XVIIe siècle tenants du dessin et partisans de la couleur. Si Van Gogh reste un fervent défenseur de l’expressivité de la couleur, Gauguin y voit d’autres possibilités à explorer. Dans "La Méridienne" comme dans "Champ de blé, vue sur Arles", le premier se sert du jaune, mis en valeur par le bleu, pour exprimer l’intensité de la lumière écrasante et la plénitude de la nature, accablée de chaleur. Seule la touche, et quelques cernes sombres, modèle la matière et suggère la forme. Gauguin pense au contraire que la couleur doit être en harmonie avec la forme pour produire un "sentiment poétique". Dans "Les Alyscamps", les couleurs posées en aplat, avec leur flamboyance, organisent la composition dans un rapport d’opposition entre gammes chaudes et froides, opacités et transparences.



Cézanne, lui aussi, résout à sa manière l’insoluble problème : qu’il s’agisse de la montagne Sainte Victoire, de L’Estaque ou de baigneurs, il construit son motif avec la couleur, mais en allégeant la touche et en simplifiant les volumes. Dans "Le Rocher rouge", la tension opérée entre les masses colorées crée l’illusion de la profondeur et du volume, plus juste et sensible qu’une description détaillée et servile de la nature et de ses apparences.



Derain y voit une impasse et préfère se consacrer au dessin et à l’étude de la composition, comme beaucoup de Fauves chez qui, après l’apaisement des éclats colorés, le sens de la construction reprend le pas sur la couleur. Matisse, lui, poursuit cette quête entamée par ses aînés, et à laquelle tout son œuvre semble voué. Sans renoncer au dessin ni à la ligne, il magnifie la couleur, optant pour des tons arbitraires ("Marocain debout en vert"), ou plus sages ("Baigneuses à la tortue"), avant de parvenir à une conciliation géniale et magnifique en découpant directement dans la couleur ("Baigneuse dans les roseaux").



À l’inverse, Bonnard privilégie la couleur – "il faut hausser le ton", dit-il –, noie les contours, les dissout dans un chromatisme incandescent, support de l’émotion : "La Terrasse ensoleillée", explosion de couleurs vives et tendres, en est une éblouissante démonstration, sensible et poétique.


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