Taillés pour l’aventure : les opérateurs Lumière

22 avril 2015
À peine né, il a déjà la bougeotte. Quelques jours après les premières séances publiques de Paris, en décembre 1895, les frères Lumière décident que le Cinématographe doit courir le monde...

Depuis l’usine de Monplaisir, à Lyon, ils engagent, pour des contrats d’abord de six mois, quelques jeunes gens débrouillards. L’un est diplômé de médecine, l’autre un garçon de 18 ans qui sait à peine écrire, un troisième est pharmacien, un quatrième magicien… Mais tous sont prêts à conquérir la planète, équipés de leur appareil qui a l’immense avantage sur celui de la concurrence d’être léger (5 kilos contre 50 pour le kinétoscope d’Edison) et de pouvoir être transporté dans une caisse de bois de la taille d’une valise. Dans un premier temps, les frères Lumière qui ont décidé d’exploiter eux-mêmes leur trouvaille, mettent au point un système de concessionnaires qui reçoivent l’exclusivité des droits dans chaque pays et la mise à disposition d’un opérateur : la société Lumière s’alloue 40 à 50 % des recettes brutes réalisées, les opérateurs perçoivent leur salaire plus 1 % des recettes (ils sont aussi chargés de veiller à ce que les comptes soient bien communiqués aux Lumière). Une cinquantaine d’équipes (de « postes ») sont ainsi constituées.

 
Portrait de Gabriel Veyre, opérateur Lumière © DR

L’expansion du Cinématographe Lumière est fulgurante. En dix mois, les opérateurs diffusent les premières « vues animées » dans le monde entier. Londres, Bruxelles, Vienne, Madrid, Berlin, Genève puis, très vite, l’appareil franchit les océans vers New York, Shanghai ou Sydney. Certains opérateurs voyagent dans le luxe, d’autres entreprennent des odyssées dignes de romans d’aventure. La plupart sont cantonnés à la projection, une poignée d’entre eux est autorisée à tourner les vues qui alimenteront le catalogue diffusé dans le monde. Mais les gestes auxquels ils ont été formés avant de partir sont les mêmes, la vitesse de défilement ne change pas : ils doivent effectuer deux tours de manivelles par seconde, chaque tour faisant passer 8 images puisque la cadence de 16 images par seconde a été retenue.

 

Plus de 1 400 films Lumière sont ainsi réalisés. Paysages, villes, monuments, gens, fêtes, cérémonies, jeux d’enfants, sport, défilés militaires, cirques, animaux, tout y passe, tout autour de la terre. En cinquante secondes et 17 mètres de pellicule. En un an, 1896, les opérateurs tournent le plus officiel et le plus banal, le plus grandiose et le plus intime. Points de vue, images du monde : le catalogue Lumière n’hésite pas à célébrer les pompes royales et les têtes couronnées de Grande-Bretagne, de Roumanie, d’Autriche-Hongrie, d’Italie, de Russie. Mais les fastes ne sont qu’une partie du grand spectacle du monde, dans lequel même les plus humbles ont un rôle à jouer. Ils sont ces foules qui circulent dans les rues des grandes villes, ces citadins anonymes, certes, mais que l’on vient voir et filmer lorsqu’ils descendent du tramway à Boston, déambulent enturbannés dans les rues de Tunis ou se promènent en kimono dans un parc de Tokyo. Ce sont leurs manières de faire, de se mouvoir, de se vêtir qui intéressent les opérateurs partis autour du globe pour chercher à la fois le semblable et le particulier.



À travers les gares, les ports, les usines, jusqu’aux puits de pétrole de Bakou, les opérateurs Lumière filment déjà le XXe siècle. Et le progrès est encore porteur de promesses. Certains parmi les cameramen se contenteront d’enregistrer sans génie, appliquant sans doute les consignes des Lumière sur la « mise en page » (le cadrage) et la perspective. D’autres, comme Gabriel Veyre ou Alexandre Promio, témoignent de réelles qualités de cinéastes que des livres salueront plus tard. Faute d’archives, Constant Girel n’a pas eu cette chance. Il était doté pourtant du même talent, une touche d’humanisme en plus.

 

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