Velázquez, peintre de bodegones
À l’origine, le terme désigne une simple cuisine ou une modeste gargote, avant de nommer ces tableaux qui les représentent. Très en vogue au XVIIe siècle, le genre est adopté par Velázquez à ses débuts. Dans une veine très réaliste, il peint ces éléments simples, scènes de la vie quotidienne de Sévillans anonymes. Usant de camaïeux de bruns – ocre, jaune, rouge, sombre…–, il transpose sur la toile non seulement des natures mortes mais aussi des personnages à la forte présence.
Dans L’Aguador de Séville, on est frappé par l’imposante dignité de la figure centrale, malgré son vêtement déchiré trahissant la pauvreté de sa condition. L’aguador (ou vendeur d’eau) y apparaît tel un hidalgo, qui n’est pas sans évoquer un certain Don Quichotte… Velázquez joue ici sur les oppositions entre les deux personnages – l’homme âgé et le jeune garçon – et entre les objets qu’il décrit avec réalisme : la grosse jarre de terre cuite et le verre fragile et transparent.
Ce sont les mêmes oppositions que l’on retrouve dans d’autres bodegones de l’artiste : avec Le Christ chez Marthe et Marie, il confronte encore deux âges de la vie, et juxtapose deux scènes apparemment opposées : la plus humble et prosaïque, avec la jeune femme écrasant de l’ail dans un mortier, et un épisode religieux. Avec Velázquez, la nature morte, genre considéré comme mineur, acquiert ses lettres de noblesse en devenant le support à une méditation religieuse. Même gravité chez La Vieille femme faisant cuire des œufs : si l’influence flamande et hollandaise y est sensible, Velázquez s’en détache par la simplicité des motifs et de leur traitement, qui leur confère une portée symbolique et morale.
Sylvie Blin