Théodore Chassériau (1819-1856)

Un autre romantisme

Du 28 février 2002 Au 27 mai 2002
Grand Palais, Galeries nationales
Description

{L'exposition a été organisée par la Réunion
des musées nationaux, le musée du Louvre, les Musées
de Strasbourg et le Metropolitan Museum of Art, New York. Elle sera présentée
à New-York, au Metropolitan Museum of Art, du 21 octobre 2002 au
5 janvier 2003.

Elle est réalisée à Paris en partenariat média
avec} Le Figaro, Fip {et} Mezzo

De tous les grands peintres du romantisme français, Théodore
Chassériau (1819-1856) est le seul à ne pas avoir fait l'objet
d'une rétrospective récente (la dernière en
date s'est tenue à l'Orangerie des Tuileries en 1933).
En groupant près de deux cents tableaux, dessins et eaux-fortes
autour des fragments nouvellement restaurés du décor de
la Cour des Comptes, cette exposition se propose de suivre les détours
d'une carrière qui fut aussi intense que brève, et
de mettre en évidence l'étrangeté d'une
oeuvre que l'on réduit trop souvent à l'exaltation
de la beauté féminine ou à sa composante orientaliste.

Elle voudrait aussi mettre fin à un malentendu tenace : Créole
languide au " style inquiet " pour le dire comme les
Goncourt, Chassériau se résumerait au double héritage
d'Ingres, dont il fut très tôt l'élève,
et de Delacroix, qu'il aurait " détroussé "
à partir de 1845. Or, ne voir en lui que le docile réconciliateur
de la ligne et de la couleur, de la belle forme et du drame, du calme
idéal et du choc des passions, c'est faire fausse route. En
rejetant sans tarder l'ingrisme de ses débuts, Chassériau
n'a aucunement cherché à singer Delacroix au-delà
des thèmes qu'ils partageaient. Si influences il y eut, elles
s'ajoutèrent à bien d'autres, des primitifs italiens
au réalisme espagnol remis en valeur par le Louvre de Louis-Philippe :
l'art et l'univers si singuliers de Chassériau ne s'y
laissent pas enfermer.

" M. Chassériau n'est pas de ceux qui attendent
patiemment la renommée, il court au-devant d'elle, il la saisit
avec force et avec audace, on pourrait même dire qu'il la viole ",
note un contemporain en 1845. Ce cavalier infatigable mène carrière
à bride abattue et durant vingt ans ne se donne aucun répit.
Il n'a guère plus de 17 ans quand il affronte pour la première
fois le Salon. Au désir de reconnaissance sociale, de légitimité
artistique, s'ajoute le besoin de travailler vite et beaucoup. Après
1840, faisant flèche de tout bois, Chassériau se met à
la gravure et élargit sa clientèle. Portraitiste saisissant
{(Lacordaire, Les Deux soeurs,} etc.), il aborde aussi, avec
une grande liberté, la mythologie (Vénus, Diane, Andromède,
etc.) et les thèmes sacrés (Suzanne, Esther, {Jésus
au jardin des Oliviers,} etc.). Puis viennent les sujets shakespeariens,
du noir Othello à la blanche Desdémone, de l'errance
du roi Lear à la folie de Macbeth. Mais s'il reste fidèle
aux figures et aux valeurs du romantisme, jusqu'à exposer
son superbe {Mazeppa} en 1853 et verser dans le fantasmagorique avec
{L'Esclave foudroyé} (vers 1855), il n'est jamais
prisonnier d'une iconographie convenue.

Chassériau redonne vie aux vieilles fictions par le sentiment
moderne, cette énergie rêveuse ou farouche qui n'appartient
qu'à lui, et par la puissance visuelle : " Etre
franc dans le dessin et la couleur, mettre de la saillie ",
écrit-il pour lui-même. Cette peinture qu'on a dite
en son temps fautive, désaccordée, fragmentaire, anarchique,
inaboutie, colorée à la diable, vaut précisément
par ce qui lui fut reproché. Baudelaire n'a pas tort de parler
en 1845 des " révolutions [qui] s'agitent
encore dans ce jeune esprit ". Ni la plénitude sans faille
ni l'emportement sans frein ne lui conviennent : Chassériau
" laisse en quelque sorte ses images flotter doucement dans
le vague " (T. Thoré). A la certitude d'une formule,
il préfère la tension des formes et des atmosphères.

Peintre
des moments ou des états intermédiaires, des énergies
contrariées et des désirs suspendus, il l'est aussi
du dédoublement des personnages (Othello, Sapho) et de l'indécision
des sexes. Même sa peinture monumentale, qui devait marquer Puvis
de Chavannes et Gustave Moreau, échappe à toute emphase.
S'il aime le défi des grands murs, Chassériau en rejette
la rhétorique. Du décor pour l'église Saint-Merry
à celui de Saint-Philippe-du-Roule, il renouvelle en permanence
son langage, fusionne tournures archaïques et vigueur colorée
pour atteindre cette " grâce étrange "
dont parlait Gautier. Dans le décor de la Cour des Comptes, achevé
en 1848, il n'est pas simplement le continuateur virtuose des fresquistes
italiens et bellifontains : à l'iconographie traditionnelle
de la Guerre et de la Paix, de l'Ordre et de la Force, il joint l'actualité
de la " question d'Orient " et sa fascination
pour les " races lointaines ".

Né à Saint-Domingue de mère probablement métisse,
lié aux Duperré et à Tocqueville, Chassériau
ne peut être insensible à la politique coloniale de la France
en Algérie, où il séjourne trois mois en 1846. L'Orient
de sa peinture et de ses dessins n'est pas seulement fantaisie et
évasion. A côté de rares scènes de harem, il
peint la guerre moderne mais comme à distance, images de spahis
et chocs de cavaliers arabes. Avant qu'il ne rêve la Pompéi
multiraciale du {Tepidarium,} il observe les populations conquises
de Constantine et d'Alger afin d'y retrouver " la
race arabe et la race juive comme elles étaient à leur premier
jour ". Sous le langage obsolète de l'époque,
il faut entendre la quête d'un monde autre : la modernité
romantique ne se dissocie pas d'une obsession de l'originel
et du sentiment d'une perte irréversible. En ce sens, l'oeuvre
de Chassériau annonce celle de Gauguin, tout en résonnant
d'une nostalgie propre.

 

* L'exposition au musée des Beaux-Arts de Strasbourg
comportera une quarantaine de dessins (la plupart d'entre eux provenant
du Louvre) qui ne sont pas présentés aux Galeries nationales
du Grand Palais. Parmi ces dessins, il faut citer trois études pour
le décor de l'église Saint-Merry et quatre études
pour celui de la Cour des Comptes.