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Dans le monde fantastique d’Eva Jospin : 8 questions à l’artiste

Portrait de l'artiste Eva Jospin devant une de ses oeuvres
Laure Vasconi © Adagp, Paris, 2025

Au Grand Palais, l’exposition "Grottesco" d’Eva Jospin propose une déambulation hors du temps. Grottes mystérieuses, nymphées sculptés, forêts pétrifiées et tableaux brodés composent un monde à part. Dans cet entretien, l’artiste révèle ses sources d’inspiration, son rapport au carton et à la broderie, et la manière dont elle transforme chaque regardeur en explorateur de ses paysages fantastiques.

Votre exposition au Grand Palais se vit comme une promenade dans un jardin. Comment l’espace a-t-il façonné cette expérience et quelles inspirations de jardins avez-vous intégrées ? 

Les jardins et les fabriques architecturales sont des formes récurrentes dans mon travail. Mes installations s’inspirent des grottes maniéristes et des fabriques du 19e siècle, ces constructions décoratives qui imitaient des cavités naturelles pour ponctuer la promenade. Dans l’exposition, mes installations et tableaux brodés se répondent : certaines œuvres se contemplent de plus haut, d’autres de l’intérieur, certaines restent frontales… Ces variations créent des échos et accompagnent cette idée phare de déambulation. L’espace conditionne la façon dont les œuvres se vivent et se découvrent. Au Grand Palais, j’ai voulu travailler dans la galerie courbe, qui offre une vraie dynamique de déambulation. J’ai choisi de laisser les fenêtres découvertes : de cette manière, on voyage, mais on n’oublie jamais qu’on est à Paris.

Vue d’exposition Palazzo, Eva Jospin, 2023, Palais des papes, Avignon
Photo © Benoît Fougeirol © Adagp, Paris, 2025

Vue d’exposition Palazzo, 2023, Palais des papes, Avignon - Œuvres d'Eva Jospin visibles : Nymphées, 2022, 700 x 1000 x 800 cm, Bois, carton, pierres, coquillages, papier colorés, matériaux divers / Cénotaphe, 2020, 1000 x 380 x 380 cm, Bois, carton, coquillage, liège, laiton

Votre univers évoque l’artifice des décors de théâtre ou de cinéma. Est-ce une source d’inspiration ? 

Ce sont surtout les architectures de fête qui me nourrissent, comme celles de Versailles. Ces constructions temporaires, souvent connues grâce aux gravures, racontent des évènements et créent des espaces de rêverie. Elles rejoignent les fabriques de jardin et annoncent les dispositifs du 19e siècle, comme les panoramas, les expositions universelles ou les Luna Park, qui jouent avec l’espace et la mise en scène.

Le motif du nymphée revient dans vos œuvres. Que représente-t-il pour vous ? 

Ce que j’aime dans le nymphée, c’est avant tout sa forme d’entrée et son origine. À l’origine, chez les Grecs, c’était un bois sacré avec une source, un lieu dédié aux nymphes. Avec le temps, ces lieux sacrés ont été transformés en temples ou en architectures profanes et la source est devenue une fontaine. Dans les villas romaines, il prend la forme de niches accueillant une source d’eau ou une sculpture : c’est à la fois un espace de rafraîchissement et un vide destiné à accueillir l’œuvre. Pour moi, cette forme est centrale car elle relie l’origine sacrée des paysages aux architectures que l’on retrouve ensuite partout en Europe, et même ailleurs, dans les niches destinées aux sculptures.

Visuel d'œuvre Diorama par Eva Jospin
Photo © Benoît Fougeirol Courtesy Galleria Continua © Adagp, Paris, 2025

Eva Jospin, Diorama, 35 x 54 x 15 cm, 2025, Bois, carton, bronze, pigments, led, verre, plâtre

Vous utilisez du carton brut. Comment le carton s’est-il imposé comme matériau central ?

J’ai commencé par des dioramas en papier, explorant la perspective et le plan, puis je suis passée au carton et à de grands formats. J’ai rapidement voulu me concentrer sur la forêt et le paysage, un thème qui m’a toujours attirée. Le carton était partout dans mes ateliers, il s’est imposé comme une matière accessible et transformable. Il est devenu définitif dans mon travail car il me permet de créer des œuvres durables tout en exprimant une certaine vulnérabilité qui reflète le rapport au vivant et à la nature.

Vous avez composé des tableaux brodés. Comment la broderie intervient dans vos installations ? 

La broderie m’a permis de réintroduire la couleur dans mon travail et de lui donner une physicalité proche de la sculpture. Les tableaux brodés sont réalisés avec des ateliers spécialisés, puis composés par mes soins. Fils, perles et tissus introduisent couleur, relief et densité, en dialogue avec le carton. Pour l’exposition, j’ai travaillé avec deux ateliers : l’atelier Amal et les brodeurs de Chanakya, dont le savoir-faire se transmet depuis plusieurs générations et qui maintiennent une pratique vivante extrêmement qualifiée, comparable à celle de la haute couture. Pour moi, la question n’est pas de tout faire moi-même, mais de diriger et de composer avec des talents exceptionnels, ce qui rend le processus à la fois riche et expansif.

Visuel d'oeuvre Promontoire par Eva Jospin
Photo © Benoît Fougeirol Courtesy Eva Jospin et Galleria Continua © Adagp, Paris, 2025

Eva Jospin, Promontoire, 177 x 335 x 290 cm, 2024, Carton, bois, laiton, matériaux divers

Votre travail évoque la nature et ses fragilités. Peut-on y voir un engagement écologique ? 

Une œuvre d’art est toujours un déplacement. Mon travail est traversé par une inquiétude face à notre relation à la nature et au paysage, présente comme un « bruit de fond » plutôt que comme un sujet principal. J’explore des espaces archaïques comme la forêt ou la grotte et leur version maîtrisée qu’est le jardin, ce qui révèle notre rapport ambivalent à la nature et à l’illusion de la maîtrise. Notre illusion de maîtriser la nature est peut-être ce qui est le plus artificiel. Les éléments sont reliés entre eux : l’art, comme la nature, fonctionne par échos et relations, et cette idée traverse tout ce que je fais. 

Comment travaillez-vous sur vos grandes installations, est-ce un effort continu ou fait d’allers-retours ? 

C’est un peu les deux. Dans l'exposition, Duomo sera la plus grande installation. C’est une œuvre de 7,3 mètres de haut, que j’ai imaginée il y a plusieurs mois, un peu comme une micro-architecture. Au début, il y a des allers-retours pour concevoir l’œuvre, vérifier la structure, les connexions et même le transport des éléments. Une fois cette phase faite, le travail devient continu et très manuel : chaque geste influe sur le suivant, la main court entre la pensée et l’action. C’est cette immersion dans le geste, proche de la sculpture ou de la peinture, que j’aime le plus. 

Visuel oeuvre Grotto par Eva Jospin
© Adagp, Paris, 2025

Eva Jospin, Grotto, 81 x 61 cm, 2017, Encre sur papier

Vos œuvres semblent à la fois très construites et ouvertes au mystère. Que souhaitez-vous laisser au regard du visiteur ?

Je crée des espaces à vivre, des lieux où les visiteurs peuvent entrer, se rapprocher et se laisser absorber par les détails. L’attention aux détails provoque la rêverie et, si l'œuvre fonctionne, le visiteur est absorbé quelques minutes durant lesquelles il peut inventer son propre récit. Mes œuvres offrent un voyage vers une source inexpliquée et inépuisable : on ne la trouve jamais et c’est ce mystère qui nous y ramène. Ce qui compte, c’est l’expérience vécue par chacun, plus que la transmission d’un message précis. 

Venez explorer le mystère et la poésie des paysages imaginaires d’Eva Jospin dans l’exposition “Grottesco”, du 10 décembre 2025 au 15 mars 2026, au Grand Palais.

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