Denise René, une galeriste dans l’aventure de l’art abstrait

10 mai 2013

A la manière d’un Paul Durand-Ruel à Paris, le célèbre marchand des impressionnistes, d’un Leo Castelli à New York, légendaire galeriste du Pop art, de l’art minimal et conceptuel, le nom de Denise René reste associé à son engagement et sa fidélité à une certaine abstraction géométrique, à l’art optique et au cinétisme. Avec une rare constance tout au long de sa carrière, hors des modes. Et l’ambition première d’être moderne. Au point que le Centre Pompidou, en 2001, lui consacra une exposition en forme d’hommage : « Denise René, l'intrépide. Une galerie dans l'aventure de l'art abstrait, 1944-1978 ».

 

Fille de collectionneur, Denise Bleibtreu, de son vrai nom, grandit dans la fréquentation des artistes et des expositions, entourée de tableaux, cubistes notamment. Elle ouvre sa première galerie parisienne en 1944, dans un appartement sis au 124, rue de la Boétie. Avec Vasarely, rencontré au Café de Flore au début de la guerre, elle y crée un atelier de décoration. Avant la Libération, le local accueillera des clandestins et servira de lieu de rendez-vous. Entre autres, pour le premier congrès de la résistance, en présence de Malraux. En 1966, elle ouvre une seconde galerie, boulevard Saint-Germain, afin de présenter ses éditions, des multiples. Cette fois, de plain-pied, avec vitrine et accès direct sur la rue. Outre ces deux galeries, elle inaugurera avec Hans Mayer, en 1967, un espace à Krefeld, en Allemagne (The Who joueront pour le vernissage, remplaçant les Rolling Stones, trop chers…), puis en 1971, un autre à New York, fermé dix ans plus tard.

Interrogée sur ses débuts, la galeriste confesse : « Je ne peux pas dire que ma voix était tout de suite tracée. C’est un parcours de recherche de talents nouveaux. Mon désir était surtout de fuir les terrains battus et de m’éloigner de ce qu’était l’Ecole de Paris, c’est-à-dire tout à fait influencée par Picasso, Matisse, Braque - les grands maîtres de l’époque - et de trouver ma direction. » (*) En plein triomphe de l’art informel tachiste, du lyrisme en peinture, ce choix est loin de faire l’unanimité. « Les critiques considéraient que l’art construit était un art froid. Une critique tout à fait ridicule disait d’ailleurs : la galerie Denise René est très bien placée, rue de la Boétie, puisque c’est le lieu où l’on vend les frigidaires. »


Exposition « Le Mouvement », Galerie Denise René, Paris, 1955 : Denise René manipulant le relief Dibouk (1954) de Yaacov Agam.© Paris, Galerie Denise rené


 En 1955, la célèbre exposition « Le Mouvement » trace une direction nouvelle : celle du cinétisme. Le succès est immédiat, à la mesure de l’innovation. Dans le catalogue, Vasarely écrit : « L’art de demain sera trésor commun ou ne sera pas ». Un manifeste social, refusant la peinture de chevalet, l’œuvre unique. L’idée de la diffusion de l’œuvre d’art sous toutes ses formes amorce alors celle du multiple.



De grandes expositions suivront dans les musées à Paris, à New York (« The Responsive Eye », au MoMA, en 1965), qui contribuent peu à peu à la reconnaissance internationale de l’art défendu par la galerie, sollicitée pour l'occasion. Le travail de Denise René porte ses fruits. Ses positions « très claires, très précises, presque sectaires », selon ses propres termes, lui permettent d'accueillir, en 1957, la première exposition personnelle de Mondrian en France. « Un honneur insigne », alors que l'artiste néerlandais est boudé par la critique et les institutions. Elle montrera aussi les œuvres de Malevitch.



« Sectaire », Denise René ? « Yves Klein a tout fait pour entrer dans la galerie. J’ai été intraitable. Pour la raison que je refusais l’idée de montrer des tableaux avec des empreintes de corps de femmes nues puisque je défendais l’abstraction. C’était pour moi de la figuration. Je défendais farouchement cet art qui était très difficile à imposer en France, surtout. Pour moi, cela aurait été une sorte de déviation et de compromis. J’ai refusé aussi Fontana car je considérais qu’il détruisait la toile, que c’était négatif. »



A partir des années 60, la galerie devient le point de ralliement d’artistes sud-américains, fédérés autour des recherches sur les phénomènes optiques, la vibration. Faisant dire à un critique qu'on se croirait dans le cabinet de curiosité d'un mathématicien. A Buenos Aires, Caracas, Bogota, au Brésil, son travail a ouvert des horizons, conduit à la réalisation de nombreux projets. La galeriste est connue dans le monde entier. A Paris, elle soutient les actions du GRAV, qui descend dans la rue.



La galerie de la rue de la Boétie ferme en 1977. Un nouvel espace est inauguré dans le Marais, en 1991.



« Donner à voir, soutenir, aider… Défendre l’avant-garde, vouloir l’imposer était une lutte. Cela représente beaucoup de force de caractère, de sacrifices, d’abnégation. Mais quand on a des convictions, on les défend contre vents et marées. » Une ligne de conduite à laquelle Denise René, décédée le 9 juillet 2012, à l’âge de 99 ans, n’aura jamais dérogé.

 



(*) Toutes les citations sont tirées du documentaire sur Denise René de Camille Guichard, avec Anne Tronche, 1998.

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