L'appel de la guinguette !

24 août 2022
Pour s’enivrer de verdure et un peu s’encanailler, quoi de mieux qu’une sortie à la guinguette !

« Allez, danse, Marie ! » supplient les compagnons de la belle Casque d’or, incarnée dans le film de Jean Becker par Simone Signoret, habituée des bals populaires. Poussée par la ferveur ambiante, Marie accepte de valser avec Roland, chef des Apaches ; elle croise à chaque tour de piste le regard brun de Manda, joué par Serge Reggiani… C’est le coup de foudre ! Et le début d’une des plus belles histoires d’amour du cinéma. Nous sommes en 1952 ; la guinguette sert de décor de cinéma, après avoir été un motif pictural majeur au siècle précédent. 

La guinguette, un symbole culturel 

À partir de la fin du second Empire, la fréquentation des guinguettes relève d’un véritable art de vivre

La guinguette est le lieu d’une légère transgression : on y boit un peu plus que de raison, on y tourbillonne à s’en étourdir, on y danse la valse et la polka, on joue avec les froufrous de ses jupons, on bavarde, on chahute, on badine… bref, on profite de cet espace hors du temps et de la ville pour s’échapper du train-train quotidien !

Le bal de la guinguette est un rendez-vous attendu, le dimanche ! L’ère des loisirs pointe son nez et les cabarets populaires en plein-air se multiplient à Montmartre et aux bords de la Seine et de la Marne. Le vin récolté dans les vignobles parisiens n’y est pas cher, et les fritures appréciées… autant par les bourgeois que par les ouvriers ; car la guinguette estompe les classes sociales : tous partagent en un même lieu une égale félicité.

« S’ils ont d’abord plutôt attiré les classes populaires, ces lieux de loisir et de sociabilité ont vite touché les classes moyennes voire relativement aisées ». La guinguette constitue un lieu de « sociabilité démocratique », comme l’écrit l’historien Alexandre Sumpf, dans l’article « Représenter les guinguettes » sur le site Histoire par l’image.

Notre imaginaire est traversé par ces images de jeunes gens endimanchés, portant pour les hommes un canotier, pour les femmes, une robe colorée. Les peintres avant les cinéastes se sont intéressés à ce sujet dont la frivolité apparente traduit l’évolution des moeurs de la société. Au tout début, c'étaient les ouvriers qui, après une journée de travail harassante, allaient à la guinguette, posaient leur musette pour boire un petit guinguet - un petit verre de blanc aigrelet.

Montmartre, galettes, valse et mazurka !

Parce qu’il aime peindre les petits bonheurs simples, Auguste Renoir peint une suite de guinguettes de bord de Seine, dans sa pleine période impressionniste. Le plus célèbre d’entre-eux, copié de manière compulsive par le voisin d’Amélie Poulain dans le film de Jeunet, reste Le bal du moulin de la galette.

""​  Le Moulin de la galette ou la Matchiche, Van Dongen Kees, Troyes, musée d'Art moderne, 1904, Photo © RMN-Grand Palais / Gérard Blot ​
Van Dongen Kees, Le Moulin de la galette ou la Matchiche, 1904, Troyes, musée d'Art moderne, © RMN-Grand Palais / Gérard Blot

Nous vous renvoyons à la comparaison que dresse l’historienne Nadine Fattouh-Malvaud sur le site Histoire par l’image, entre la toile de Renoir et celle de Van Dongen, Le moulin de la galette ou la Matchiche

 

Révélée au public en 1876, la scène peinte par Renoir est moins canaille et pourtant plus sensuelle que celle de son confrère.

Pas de mains baladeuses ni de poses suggestives chez Renoir ; le camaïeu bleu-noir enveloppe les couples qui discutent au premier plan et ceux qui dansent au second dans une atmosphère joyeuse et sereine.

L'ambiance est nettement plus suggestive chez Van Dongen : les danseuses du bal populaire sont ici des cocottes parisiennes qui flirtent allègrement avec leurs partenaires !

 

 

Chez Renoir, la guinguette du Moulin - le grand absent du tableau ! - forme un cocon : elle est abritée des intempéries par le vert de la frondaison et fermée au premier plan par le mobilier et la posture du personnage qui nous tourne le dos. Notre regard valse autour de la toile, comme les danseurs tournoient sur la piste de danse.

""Pierre-Augtuste Renoir, Le Bal du moulin de la galette, 1876, musée d'Orsay, © RMN-GP
Pierre-Auguste Renoir, Le Bal du moulin de la galette, 1876, musée d'Orsay, © RMN-GP

 Renoir émaille son tableau de délicates touches de lumière ici et là : transparence des lampions, halos lumineux sur la piste de danse pour mimer la cadence des pas, reflets d’or sur la paille des chapeaux, le bois de la chaise et la chevelure dorée de la petite fille au premier plan… Tout suggère la légèreté et la gaieté d’une journée que l’on aimerait partager ! La scène forme une ronde qu'un seul regard panoptique englobe. Elle dessine un petit « théâtre du monde ».

Quelques canotiers étincèlent et forment un cercle à la droite du tableau ; quelques fanfreluches rouges attirent l’oeil jusque dans la pénombre du décor au fond - on pense ici aux Coquelicots de Monet peints trois ans auparavant ; les nuances bleutées de la carafe et des verres posés sur la table reflètent la robe aux mille nuances de bleus - céruléen, cyan et turquoise - de la jeune femme, juste derrière, dont la main repose sur le bois de la chaise.

Les jeux d’échos sonores - on imagine le brouhaha des conversations qui se mêlent aux instruments de l’orchestre - sont ainsi comme mimés par les jeux d’échos chromatiques.

Tous sont affairés, soit à discuter, soit à danser… Seul un couple nous regarde en retour : la robe rose de la jeune femme aspire notre regard et ouvre un espace à gauche de la toile ; notre vision s’étire alors jusqu’à une femme assise, dans une robe indigo. Elle est soutenue par un homme en haut de forme. S’est-elle étourdie à force de trop valser ? Assiste-t-on à une rupture amoureuse ? À un jeu de séduction ?

Véritable scène de cinéma, la piste de danse et ses coulisses racontent mille histoires à observer et imaginer… pour notre plus grand plaisir !

« Allez, dansez maintenant ! C'est l'été ! »

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