Braque, le patron

23 septembre 2013
Pourquoi ne veux-tu pas faire ça ? demandait sa mère – Parce que je n’en ai pas l’habitude. L’homme qui jetait en peinture le trouble et les révolutions, s’est toujours vu lui-même habituel, patient, raisonnable.





Dans son remarquable Braque, le patron (1945), Jean Paulhan écrit aussi : « Qu’il y ait un secret chez Braque – comme il y en a un dans Van Gogh ou Vermeer – c’est ce dont ne laisse pas douter une œuvre à tout instant étrangement pleine et suffisante : fluide (sans qu’il soit besoin d’air) ; rayonnante (sans la moindre source de lumière) ; dramatique (sans prétexte) ; à la fois attentive et quiète : réfléchie jusqu’à donner le sentiment d’un mirage posé sur sa réalité. » Des tableaux composés lentement (souvent au fil des années), qu’il convient de contempler longuement, dans toute leur complexité. Et dont se dégage une ineffable  poésie, une musique, qui hantent littéralement son univers. Preuves de ces affinités, la complicité du peintre avec Satie mais aussi Reverdy, Ponge ou Char (leur sublime Lettera amorosa, dernier livre d’artiste de Braque, paru l’année de sa mort, en 1963).



De la naissance du cubisme, de sa relation avec Picasso, tout a été dit. L’admiration réciproque, l’étroite collaboration, la rivalité. Duo et duel. La séparation, enfin, lorsque Braque est envoyé au front. Subsiste le lien indéfectible entre ces deux monstres sacrés, pionniers de l’art moderne. Deux caractères si différents, mus par de semblables préoccupations : faire bouger les lignes de la peinture, bouleverser la perception, créer une nouvelle conception du monde. Rien de moins. Et ces mots de l’incandescent maître espagnol sur son discret camarade : « … La femme qui m’a le mieux aimé. »



Carl Einstein, éminent théoricien des avant-gardes européennes, très tôt passionné par l’avènement du cubisme à Paris, sera à l’initiative, en 1934, de la première monographie consacrée au peintre, dont il organisa l’année précédente une rétrospective à la Kunsthalle de Bâle. Dans L’Art du XXe siècle, il écrit : « La méthode de Braque n’est pas celle des sautes brusques. Son rythme est déterminé par le désir de la perfection technique. Le bonheur de l’hallucination subite cède la place à une conscience presque religieuse de la plus pure perfection picturale. La peinture est achevée quand l’émotion est entièrement voilée. »



« J’aime la règle qui corrige l’émotion » : l'intransigeance du propos résume le caractère de ce peintre réservé, à la vie simple, qui aimait tant les poètes et la musique, mais aussi le silence, la solitude et les paysages du pays de Caux où il s’était fait construire un atelier, à Varengeville. Là où il repose dans le petit cimetière marin, auprès de sa femme Marcelle.



Ses toiles à la matière dense, travaillée, susciteront l’admiration de ses pairs. En 1946, Nicolas de Staël reconnaît en cet illustre aîné « le plus grand des peintres vivants de ce monde. » Deux ans plus tard, Braque se voit décerner le Grand prix de la biennale de Venise.



A sa mort, son ami Giacometti dira apprécier avec le plus d'intérêt ses derniers petits paysages : « Je regarde cette peinture presque timide, impondérable, cette peinture nue, d'une toute autre audace... ; peinture qui se situe pour moi à la pointe même de l'art d'aujourd'hui, avec tous ses conflits. »



L’exploration méthodique de la nature morte et du paysage feront de Braque, profondément marqué par Cézanne mais aussi par les Demoiselles d’Avignon de Picasso, l’héritier à la fois d’une tradition française classique (suivant Corot, Chardin) autant qu’un des précurseurs de l’abstraction d’après-guerre. Ne serait-ce qu’en cela, l’un des artistes majeurs du XXe siècle, au nombre de ceux qui ont inventé la peinture moderne.





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