Face-à-face, l’œil et son sujet
Celle de Raymond Depardon se situerait « entre miroir et fenêtre », un entre-deux savamment maîtrisé qui, sous couvert de neutralité, mettrait pourtant bien dans le mille, voire les pieds dans le plat. En somme, un droit au but qui cacherait bien son jeu. Comme si, l’air de rien, Depardon engageait un dialogue direct, un face-à-face avec son sujet, qui, pris de court par la démarche désarmante de sincérité de l’autre, celui qui regarde, n’aurait d’autre choix que de dire sa vérité, à lui, le regardé. Qu’il soit homme, animal, paysage. Même le coffre plein à craquer de cette vieille Peugeot 404, garée dans une ruelle d’Harar en Ethiopie, semble raconter une histoire. La plaque d’immatriculation, l’absence de feu arrière gauche, les cartons de denrées alimentaires, fonctionnent comme autant d’indices décuplant le potentiel narratif de ce cadrage serré, qui se contente, en apparence, d’enregistrer le réel.
Un pied de nez aux inconditionnels des cadrages alambiqués pour intentions fumeuses: en ne disant rien, lui, dit tout. On ne trompe pas son sujet quand on lui fait face. Quid de ce style anti triche ? Depardon, fair-play, cite ses maîtres américains, Walker Evans ou Paul Strand, pères de la straight photography, mais pas seulement : « Ce goût de la frontalité me vient aussi de ma cinéphilie. Le cinéma soviétique, notamment, avec un film comme La Terre d’Alexandre Dovjenko, qui privilégie les plans en contre-plongée, proche du grand-angle voire de la déformation. Ou encore les écoles allemande et nordique, avec un film tel que La Passion de Jeanne d’Arc de Carl Theodor Dreyer. Nous sommes entre le lyrisme soviétique et l’expressionnisme allemand. » Un parti pris indissociable d’une autre de ses singularités, la simplicité.