Picasso et Rineke Dijkstra
Subtile et percutante, son œuvre prend la forme de photographies grand format ou de vidéos au pouvoir hypnotique, qui captent les fragilités liées aux métamorphoses du corps (adolescents sur la plage) ou aux épreuves d’une expérience intense (femmes après un accouchement, matadors après la corrida). Caractérisées par une grande frontalité et un certain dépouillement, ses images sont autant de mises à nu de leurs modèles. Résonnant avec l’expérience singulière du spectateur, elles font surgir, paradoxalement, une universalité monumentale et vibrante.
I See a Woman Crying (Weeping Woman) est le fruit d’une invitation de la Tate Gallery de Liverpool à travailler avec les élèves d’une école locale. Il s’agit d’une installation réalisée à partir de trois projections qui décrivent, sous trois angles différents, les réactions de neuf adolescents devant La Femme qui pleure, portrait de Dora Maar peint par Picasso en 1937. Inspirée par le rituel des visites scolaires au musée, l’artiste enregistre le flux des mots et des émotions qui émane alors de ces jeunes spectateurs. Durant les douze minutes que dure la vidéo, le portrait, laissé hors champ, n’existe qu’à travers leurs voix et leurs visages.
De même que le dispositif des trois écrans et les mouvements de caméra donnent une vision dynamique de cette confrontation, avec parfois des gros plans ou des dédoublements, la bande sonore enregistre les soubresauts de cet exercice de perception.
En faisant le choix de dérober La Femme qui pleure à notre regard, Rineke Dijkstra substitue la parole à l’icône : elle impose une visibilité orale, sensible, critique et profondément humaine. À la fois portrait de groupe et mise en abyme de l’art de portraiturer, I See a Woman Crying donne une image vivante de la réception de la peinture picassienne et démontre toute l’actualité de l’oeuvre du maître.