Hopper : Où sont les femmes ?

Hopper : Où sont les femmes ?

27 December 2012

Par Stéphane Renault, historien de l’art, critique, journaliste pour Beaux Arts magazine et l’Express.

Si Hopper a tiré la matière de nombre de ses tableaux de ses propres déboires conjugaux, la figure féminine est un thème récurrent dans son œuvre – pour ne pas dire omniprésent. Entre idéalisation et désillusion, quelle lecture faire des représentations qu’il en donne ?

Un éternel féminin. Pensive, nue, s'offrant aux rayons du soleil, absorbée dans ses pensées, le visage caché, dans un état proche de la prostration, le regard perdu dans le vide ou dans sa lecture, la femme chez Hopper incarne tout à la fois la sensualité, le doute, la tristesse, la solitude, l’inaccessibilité. Chez ce maître de l’intériorité (au sens propre comme au figuré), elle n’est pas exempte d’une forte charge symbolique. Une dimension psychanalytique qui permet de mieux appréhender la psyché du peintre.

La féminité, la nudité, sont-elles pour autant synonymes de désir ? Dans Girlie show (1941), le caractère théâtral de l’érotisme apparaît source de malaise plus que d’excitation. Eleven AM (1926), Morning sun (1952) ou encore A woman in the sun (1961) –  versions modernes de la Danaé recevant la pluie d’or du Titien (1553-1554) – montrent des corps dénudés mais concentrés dans une retraite intérieure. Rien de l’expression d’un quelconque épanouissement, d’une volupté. Il en émane plutôt une aspiration au rêve, au refuge, au spirituel. La chair y est le plus souvent triste, hélas. Mais il reste les livres, lus ou posés sur une table. Héritier de la tradition romantique, Hopper voit dans l’art une alternative à la société. Comme la peinture, la lecture, retour sur soi salutaire, permet de s’abstraire de l’environnement social. Ainsi de la jeune femme dans un fauteuil dans Hotel Lobby (1943), assise face à un couple rangé, duquel se dégage une impression de lassitude. Dans Hotel Room (1931), référence à la Bethsabée au bain tenant la lettre de David (1654) de Rembrandt, contemplée au Louvre, une femme seule lit. Que lit-elle ? On sait qu’il s’agit d’un annuaire des chemins de fer, référence proustienne cette fois à Swann amoureux d’Odette de Crécy dans Du côté de chez Swann. Francophile, Hopper était un fervent lecteur, dans le texte, de La Recherche. Autre toile majeure du peintre dans laquelle une femme est absorbée dans sa lecture solitaire : Compartiment C, voiture 293 (1938).

Dans les tableaux de Hopper, les femmes semblent attendent quelque chose, quelqu’un, qui n’arrivera pas. Ou plus. Un amant ? L’avènement du rêve américain ? Rien ne semble pouvoir tirer de leur langueur, de leur abattement, les figures solitaires qui peuplent cet univers beckettien. De ces vestales modernes émane le sentiment d’un regard désillusionné sur le monde qui les entoure, une forme de lucidité mêlée à une certaine vulnérabilité.
Est-ce pour cette raison que cette peinture existentielle, de l’intime, de l’introspection, plaît tant aux femmes ? Hopper aura su exprimer cette dimension particulière dans laquelle il est possible de se projeter. Une présence originelle, extraordinaire, dans un quotidien ordinaire, des situations stéréotypées. Dans une chambre, un cinéma, un théâtre, la figure féminine apparaît ainsi le dernier vestige de la sensibilité, dans le même temps fragile et érigée sur un piédestal. Pour Didier Ottinger, commissaire de l’exposition : « Elle a l’intuition d’un monde perdu. Hopper évoque un âge d’or qui se situe avant la guerre de Sécession. Le rêve américain a mal tourné, il a été perverti à cause de l’industrialisation, l’urbanisation et le consumérisme. La banalisation et l’uniformisation anesthésient et émoussent la sensibilité. Pourtant, il reste persuadé qu’on peut encore la réveiller. » Ses femmes sont autant des déesses panthéistes dans le cauchemar climatisé.

 

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Edward Hopper, South Carolina Morning, 1955 © Withney Museum

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