Picasso-Dora Maar

1935-1945

Du 15 février 2006 Au 22 mai 2006
Musée Picasso
Description


« Il faisait tellement noir à midi qu’on voyait les étoiles »
Picasso, poème dédié à Dora Maar, sans date

Exposition organisée par la Réunion des musées nationaux et le musée Picasso, Paris.

En partenariat média avec Le Point, Fip et Paris Première.

Avec près de 250 œuvres issues de collections publiques et privées, cette importante exposition qui investit le musée Picasso sur deux étages et demi est consacrée à l’œuvre du maître pour la période allant de la Guerre d’Espagne à la Libération. Durant cette décennie décisive les grandes peintures Guernica, (1937, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia, Madrid), L’Aubade (1941-42, Centre Pompidou) ou Le Charnier (1945, Museum of Modern Art, New York) manifestent avec force le rôle d’« objecteur » puis de « résistant » incarné alors par Picasso. Cependant, son œuvre des années 1935-1945, interdit d’exposition durant l’Occupation au titre d’« art dégénéré » et dont seul le Salon d’Automne de 1944 rendit compte, reste en grande partie à découvrir.

Dora Maar, la compagne et amie de Picasso entre 1935-1945, a consigné la chronique de cette tragique période dans de nombreux reportages photographiques. Artiste engagée, membre du groupe surréaliste, elle fut aussi le modèle et l’inspiratrice des riches ensembles de portraits ou d’effigies, de femmes qui pleurent ou de suppliantes, de femmes assises ou au chapeau, de chimères, sphinges et créatures mythologiques qui peuplent l’œuvre de Picasso. Ce dialogue créatif du peintre et de la photographe « encline aux éclats et aux orages » constitue pour l’exposition un guide chronologique et thématique permettant de mettre en lumière tant les révolutions plastiques de l’art picassien que les grands événements marquant ce tournant du siècle. L’éclairage apporté par le récent inventaire des œuvres, des photographies et des archives conservées par Dora Maar et entrées en 1998 dans les collections nationales à l’occasion de la Dation Markovitch et des ventes de la Succession, devrait permettre de renouveler de manière décisive l’approche de cette période.

La décennie allant de 1935 à 1945 n’a jamais fait l’objet à ce jour d’une étude systématique dans l’œuvre de Picasso. Elle est pourtant marquée par une série d’événements exceptionnels et apparaît comme particulièrement signifiante sur le plan pictural. En 1935 Picasso s’arrête brutalement de peindre et se tourne vers l’écriture poétique durant près d’une année. Les centaines de poèmes qu’il écrit alors sur un mode semi-automatique inspiré des protocoles de création surréalistes vont constituer le matériau premier de sa relation initiale avec la jeune photographe.

Dora Maar encourage Picasso, isolé par le succès depuis les années 20, à renouer plus fortement avec l’effervescence, les débats, les tensions et antagonismes de la vie artistique de l’avant-garde. Tous deux partagent de fait les mêmes affinités avec les milieux surréalistes, une semblable culture hispanique – elle a vécu en Argentine et parle l’espagnol – un même type de sensibilité et d’engagement politique.

Avec le Front Populaire en France et la guerre civile espagnole, les années 1936 et 1937 voient Picasso revenir à la peinture pour en radicaliser la portée dans une perspective propagandiste et messianique inédite dans son œuvre. Les Songes et Mensonges de Franco, Guernica, les variations autour du thème de la Femme qui pleure forment un cycle d’une exceptionnelle cohérence théorique et plastique. Dora Maar y participe en assistant le peintre techniquement dans ses recherches de clichés-verre (1936-37), en réalisant, avec Guernica, le premier reportage photographique d’une œuvre en cours d’exécution (1937), en inspirant la figure de la Femme qui pleure ou celle de La Suppliante (1938).

En 1938-39, Dora devient le « modèle » de très importants ensembles de toiles sur le thème des Femmes assises et des Femmes au chapeau où Picasso affirme une virulence et une acidité de la couleur sans précédent. L’artiste y revisite avec virtuosité ses rapports avec Cézanne, Van Gogh ou encore Matisse. Si les prémisses de la guerre constituent la toile de fond des œuvres de la période 1939-41, les portraits de Dora Maar et les natures mortes au crâne croisent explicitement leurs sujets dans des études d’une inquiétante étrangeté où la mort et la vie se miment réciproquement. Le grand tableau de L’Aubade concentre la terribilita de ces années de guerre où le corps nu et la chambre fermée évoquent tant la claustration des cellules que les camps de concentration auxquels Picasso consacrera le memento mori de son grand tableau Le Charnier en 1945.

A partir de 1943, la relation de Picasso et Dora Maar se délite inéluctablement. C’est alors qu’est publiée L’Histoire naturelle de Buffon que Picasso avait commencée d’illustrer en 1936, dans l’effusion de leur rencontre. Il rehaussera en janvier 1943 l’exemplaire de Dora de nombreux dessins comme en signe d’adieu. Ce bestiaire fantastique croisant l’humain et l’animal, forme l’épilogue de la légende où se font face, s’interrogent et se regardent, Dora en sphinge et Picasso en Minotaure.