Une histoire de statues

A l’orée du XXe siècle, alors que le concours d’architecture pour l’édification du Grand Palais bat son plein, les villes et les nations européennes tombent sous le charme d’un art très en vogue : celui de la sculpture. Partout, l’intérêt est tel que l’on parle de « statuomania » ; l’État passe des commandes publiques, les musées achètent les œuvres récompensées au Salon, les villes font la promotion des sculpteurs locaux… Érigé pour l’Exposition universelle de 1900, le Grand Palais ne déroge pas à la règle – entre ses colonnes, sur ses façades et ses sommets, près de mille statues et reliefs s’offrent au regard des flâneurs. Parce qu’il s’agit d’un monument national, les statues du Grand Palais sont vectrices de messages forts qui reflètent l’esprit de ce début de siècle : elles célèbrent le soutien de la IIIe République au monde des arts.

Allégorique, de style académique, la statuaire du Grand Palais illustre ainsi les beaux-arts – la peinture et la sculpture bien sûr, mais également la musique, la poésie, la gravure… Le principe de symétrie sur lequel repose l’architecture classique du monument influence l’agencement et la symbolique des statues, qui forment pour la plupart des paires, créant une narration dont le fil se déroule avec harmonie tout autour du bâtiment.

Sources - crédits 

Cette célébration des beaux-arts est doublée d’une mise en perspective de l’art et du « génie » français qui, en 1900, veut s’inscrire dans la continuité de grandes civilisations antiques. Des séries de statues évoquent, entre autres, les arts asiatique, égyptien, grec et romain. Mais les ornements véhiculent aussi les idéaux de paix et de progrès qu’inspire l’entrée dans un siècle nouveau et auxquels la nation française aspire ; Apollon vainc ainsi la Discorde, la Science est en marche contre l’Ignorance et l’Inspiration est guidée par la Sagesse. 

Fragilisé par les intempéries et les aléas du temps, cet ensemble ornemental exceptionnel se trouvait, jusqu’en 2021, dans un état de dégradation avancé. La mise sous filet de certaines sculptures avait même été rendue impérative en 2018. La statuaire est désormais en cours de restauration, sous les mains d’artisans qui, jusqu’en 2023, nettoieront et répareront les groupes sculptés et les reliefs grâce à un savoir-faire minutieux, de pointe et parfois séculaire. Ils et elles nous livrent aujourd’hui leur expérience de la vie sur ce chantier de restauration hors du commun. 

D’un chantier à l’autre : travailler la pierre en 1897

blocs de pierre
Fonds Henri Lemoine, Grand Palais en construction, 1900

© RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski

Entre 1897 et 1900, une cinquantaine de sculpteurs est employé sur le chantier de construction du Grand Palais, aux côtés de compagnons tailleurs de pierre et d'ornemanistes. Si les sculpteurs du monument sont renommés, aucun d'entre eux ne fait partie des artistes les plus en vogue de l'époque tels que Bourdelle ou Rodin. Le contexte est pourtant prestigieux et contrairement aux autres édifices conçus pour l'Exposition universelle, le Grand Palais est fait pour durer. Mais soumettre son style à celui de l'architecture du monument et aux exigences des commanditaires est un trop grand sacrifice pour les artistes qui connaissent un franc succès. Car chaque auteur doit fournir un projet miniature avant toute réalisation ; celui-ci, conçu en plâtre, est alors soumis à l’approbation des commanditaires… Au risque d’être refusé.

Une fois approuvées, les sculptures sont réalisées dans leur grande majorité sur place. La pierre utilisée provient des carrières de calcaire de Lavoux, situées dans la Vienne – un calcaire dur, au grain fin et régulier. Les blocs arrivent par voie fluviale, en contre-bas du chantier ; ils sont d’abord dégrossis à la scie, puis élevés par l’intermédiaire d’une grue pour être placés et fixés grâce à des méthodes de maçonnerie. Pour protéger les sculpteurs sur le chantier et limiter les chutes de débris de pierre, des cabanons en bois sont construits autour des blocs de calcaire. Des braseros y sont même installés pendant l’hiver 1899 pour prévenir l’éclatement de la pierre face au gel. Les conditions de travail dans les cabanons sont difficiles : l’absence de lumière, l’omniprésence de la poussière et le manque de recul rendent parfois le quotidien des sculpteurs ardu.

 

 

Sources - crédits

La restauration de la statuaire

À l’occasion de la restauration du Grand Palais, découvrez les métiers œuvrant jour après jour sur ce chantier patrimonial. Avec presque 290 intervenants c’est une véritable symphonie de savoir-faire qui se joue quotidiennement dans la nef et ses alentours. Pour ce 1er épisode, laissez-vous porter par les explications de Florence Espana, conductrice des travaux de l’ensemble des statues du bâtiment : du gommage jusqu’à sa restitution, Florence et sa spécialiste de la patine vous parlent de toutes les étapes fondamentales pour redonner une nouvelle vie à ces œuvres du XIXe siècle.
 

Chronique d'un chantier

La Rmn – Grand Palais a proposé à Maylis de Kerangal d’écrire la chronique du chantier de restauration du Grand Palais. Tous les trois mois, en témoin privilégié, elle se rend sur le chantier pour en suivre le mouvement et en rapporter un récit. En savoir +

Écoutez un extrait de sa deuxième chronique, lue sur les ondes de France Culture, dans la séquence « Affaires en cours » au sein de l’émission « Affaires culturelles » d’Arnaud Laporte.  

Interview. Domaine Clarence Dillon, mécène du patrimoine architectural

Fondé en 1935, Domaine Clarence Dillon regroupe plusieurs domaines viticoles en France. Voisin du Grand Palais, Domaine Clarence Dillon a souhaité soutenir la restauration de la statuaire du monument, plus particulièrement celle de dix statues situées sur la façade avenue Franklin Roosevelt. Prince Robert de Luxembourg, Président de Domaine Clarence Dillon, répond ici à trois de nos questions.

Le chantier en photo

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Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue
Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue

Le génie du Théâtre, avant le début des opérations de restauration. Exposées aux intempéries et à la pollution, les statues se sont au fil du temps incrustées d’impuretés, de micro-organismes et de mousses qui fragilisent et noircissent la pierre. 

Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue
Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue
Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue

Le génie du Théâtre, après la mise en place du protocole de restauration et de son nettoyage par gommage. Trop abimée, une partie de la pierre qui présentait un creux (à la jonction du cou et de l’épaule) sera remplacée par un nouveau bloc, assemblé par collage puis sculpté sur place en se raccordant aux parties d’origine. 

Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue
Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue
Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue

Le style académique qui caractérise la statuaire du Grand Palais provient en majorité de la formation des artistes sculpteurs : tous ou presque issus de l’École nationale des Beaux-Arts, ils sont pétris d’un enseignement fondé sur la recherche du « beau idéal ». Certains groupes sculptés se détachent néanmoins par leur plus grand naturalisme, et s’éloignent de l’idéalisation académique pour proposer des formes plus conformes à la réalité. 

Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue
Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue
Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue

Très éloignés des statues les plus en hauteur, les spectateurs, en contre-bas, ont une vision bien différente de ce que l’on peut observer depuis les échafaudages et les toitures. Conscients de cette déformation, les sculpteurs accentuent ainsi certains reliefs, afin d’assurer une plus grande lisibilité des œuvres. 

Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue
Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue
Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue

Des cabanons sont installés autour des grands groupes sculptés pendant toute la durée de leur restauration. Thermoformés, épousant parfaitement la forme des échafaudages, ils protègent les restaurateurs des intempéries mais servent surtout à contenir la poussière qui se dégage des opérations de gommage et de nettoyage de la pierre. Avant d’être démonté, chaque cabanon fait l’objet d’un nettoyage minutieux, afin d’éviter que la poussière ne se répande pas sur la totalité du chantier. 

Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue
Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue
Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue

Aujourd’hui installés sur la façade sud du Grand Palais, du côté de l’avenue Winston Churchill, les échafaudages seront déplacés une fois que toutes les statues et tous les ornements de cette partie du bâtiment auront été nettoyés et restaurés. Le travail de restauration se poursuivra, selon les mêmes procédés, sur chacune des façades. 

Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue
Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue
Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue

Les colonnes qui encadrent l’entrée de la Nef s’élancent à près de 20 mètres de hauteur. Ornées de motifs végétaux – feuilles et fleurs – à leurs extrémités, on remarque à certains endroits la présence de petits trous qui encadrent le volume sculptés. Ceux-ci ne sont pas là par hasard : ils augmentent l’effet de profondeur et de contraste entre la partie saillante et le fond de la sculpture. 

Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue
Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue
Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue

Zoom sur les petits trous qui encadrent le volume sculptés.

Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue
Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue
Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue

Véritable musée à ciel ouvert, le Grand Palais cache des ornements dans chacun de ses recoins. Ici, le plafond du péristyle de la Nef présente, à près de 20 mètres de hauteur, de très grandes couronnes végétales dont le nettoyage est en cours, ainsi que la restauration leurs parties défectueuses. 

Le chantier du Grand Palais, Paris 2022 © Patrick Tourneboeuf pour la Rmn-Grand Palais / Tendance Floue