American way of life

12 décembre 2012

Par Stéphane Renault, historien de l’art, critique, journaliste pour Beaux Arts magazine et l’Express.

Nombre des tableaux de Hopper mettent en scène des espaces, des lieux. Ce faisant, sa peinture « dépeint » une société en mutation. Des images devenues les symboles d’une certaine idée de la modernité américaine.

Hopper, monument américain ? Sans conteste, autant qu’universel. Est-il pour autant la figure de proue tant proclamée de la modernité américaine ? Ce cliché, comme souvent, pour être excessif, comporte une part de vérité. Excessif, car conscient de l’influence des grands maîtres européens sur sa peinture, Hopper réfutait lui-même cette idée d’un art typiquement américain, inspiré exclusivement par les innovations de la société émergente, dont il serait l’expression originale. Ex nihilo, pour ainsi dire.

Contrant les tentatives de récupération de son œuvre, il s’inscrit en faux face au nationalisme ambiant de l’époque dans The Arts, en avril 1927 : « Attendre l’avènement d’un art entièrement nouveau et singulier en Amérique relève d’un manque de compréhension des leçons de l’histoire. Le développement logique de l’art d’une nation dépend d’un autre ou d’une autre nation. » Ne doit-il pas l’usage du clair-obscur, si fréquent dans ses toiles, à Rembrandt, vu au Louvre, dont il a retenu le sens de l’éclairage intimiste et spirituel ? N’a-t-il pas admiré Degas, Courbet, les impressionnistes avant de forger son propre style ? Ne se tourne-t-il pas vers des sujets américains, blessé par l’accueil critique de Soir bleu, ultime scène parisienne ? En définitive, un mal pour un bien, l’obligeant à réinventer sa peinture. Avec le devenir, la fortune critique, la reconnaissance qu’on lui connaît aujourd’hui.

 

Edward Hopper, Gas, 1940, The MoMA, New York © Scala
 

Ce poncif qui voudrait faire de Hopper le chantre de la modernité américaine trouve sa justification dans ses tableaux qui en sont devenus autant de vues archétypales. Ses architectures, ambiances, décors habitent désormais le musée imaginaire planétaire, au point d’être le plus souvent injustement réduits à des posters, incarnations d’une vision désuète et fascinante d’un âge d’or du progrès : Drug store (1927), Manhattan bridge Loop (1928), Chop Suey (1929), Gas (1940), New York office (1962)… Au-delà du malentendu, la rançon du succès ? L’immense succès populaire de ces images, leur diffusion de masse via leurs reproductions, l’engouement pour l’exposition des œuvres originales prouvent, s’il en était besoin, combien cette œuvre figurative singulière, qui a su résister face aux monstres sacrés de l’art abstrait, est finalement devenue mainstream tout en conservant son étrangeté. Au reste, n’est-ce-pas ce qui a fait l’immense succès de cet American way of life dont elle est censée traduire la modernité *?

Paradoxe : lors de la première rétrospective des œuvres de Hopper au MoMA en 1933, alors que le débat sur la définition d’un art national divise la critique, ses toiles sont considérées par le critique Ralph Pearson «  à l’opposé de ce qui caractérise le mouvement moderne », comme le rappelle Gail Levin dans son ouvrage de référence : Edward Hopper, an intimate biography (Rizzoli). Plus tard, en 1946, Clement Greenberg, thuriféraire du formalisme abstrait, laudateur de Pollock, autre héros de l’art moderne américain, ira jusqu’à écrire que Hopper est un "mauvais peintre"…

* Lire en ce sens l’ouvrage de Frédéric Martel, Mainstream, Flammarion, 2010.

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