A l’occasion du centenaire de la Juventus de Turin (née en 1897), ses propriétaires, la famille Agnelli, approchent Daniel Buren pour lui donner carte blanche. Point commun entre l’équipe et l’artiste : les rayures, et une certaine vision du monde.
Buren songe ainsi appliquer sa règle des 8,7 cm aux rayures noires et blanches du maillot de l’équipe la plus supportée d’Italie, et imagine un système de véhicules équipés de miroirs qui arpenterait la ville les jours de match, ou comment littéralement montrer que le foot est un certain reflet du monde...
Une véritable appropriation de l’espace comme l'aime Daniel Buren, mais qui ne verra malheureusement jamais le jour, les dirigeants de la Juve finissent par y renoncer. De ce projet restent toutefois croquis et images de l’artiste, ainsi qu’un texte signé de sa main. Publiés une première fois dans un précédent hors série consacré à l’Euro par SoFoot et Les Inrocks, Grand Format vous dévoile ses textes à l’occasion de la récente clôture de Monumenta, et de la finale de l’Euro Espagne-Italie, qui aura lieu dimanche 1er juillet.
Projet pour le centième anniversaire de la Juventus
Ce projet se développe en deux parties. La première partie concerne l’équipe de football à travers le maillot des joueurs, la deuxième, l’Italie à partir de véhicules portant des miroirs reflétant les villes dans lesquels ils se déplacent.
1. Maillots des joueurs
Connue notamment dans le monde entier pour son fameux rayé, la Juventus a en fait changé à plusieurs reprises la coupe de ses maillots, la taille et la disposition de leurs bandes. Partant de cette constatation, la première partie de mon projet consiste à uniformiser, pendant les matchs se déroulant pendant la célébration du centenaire, toutes les bandes verticales des maillots de l’équipe aux mesures de mon travail, à savoir : 8,7 cm de large. Ainsi, 5 bandes alternées blanches et noires sur le devant et 5 sur le dos, se raccordant précisément les unes aux autres au niveau des épaules, orneraient en principe les maillots, les bandes médianes étant toujours noires. Cette première partie est indispensable à la bonne marche de l’ensemble du projet.
2. La Juventus, miroir de l’Italie : l’Italie dans un miroir
Après un voyage en Italie en compagnie de l’architecte Patrick Bouchain m’assistant pour la confection et la logistique de ce projet avec en tête l’idée de disposer devant certains monuments fameux ou au coin d’une ruelle une sortie de cadre, à chaque fois dans une ville différente, je me rendis compte avec ce dernier qu’une telle entreprise serait économiquement et techniquement quasiment impossible à réaliser. Voulant conserver un principe assez proche, nous vint alors à l’esprit l’idée d’utiliser un véhicule (voiture, camion, barge…). Cet objet mobile ayant pour avantage premier de pouvoir être implanté n’importe où dans la ville, sur les routes, dans les villages, sans avoir à demander une autorisation quelconque tout en étant bien visible. De plus, avec un véhicule, les espaces concernés devenaient également infinis.
Je changeai alors mon idée de cadre dont tout l’espace central devait être vide pour la remplacer par celle d’un cadre entourant une (ou plusieurs) plaques en miroir. Ainsi, tout ce qui viendrait s’y réfléchir se verrait à l’envers.
Pour ce faire, il faudrait soit trouver déjà faits, soit confectionner sur des camions, camionnettes etc. des châssis venant supporter les miroirs. Le même principe serait également utilisé sur une péniche ou barge, sur les canaux de Venise par exemple. Ainsi, se découperaient, de fragmenteraient, au hasard du déplacement et des arrêts du véhicule, les villes traversées, la campagne, l’architecture, etc.
A cet ensemble viendrait s’ajouter un travail très important consistant à photographier dans tout le pays et en suivant pendant plusieurs jours chacun des camions, l’Italie sous tous ses angles, dans sa nouvelle vision par miroir interposés. Ces photos une fois faites, serviraient à l’élaboration d’un livre d’images que j’imagine tout à fait étonnant et magnifique, qui pourrait être mis en vente au bénéfice de la Juventus et/ou contrairement au travail dehors, in situ, ferait bel et bien mention de la Juventus et de sa responsabilité dans toute cette opération de prestige.
Daniel Buren.
Terminé à Thessalonique, mars 1997.
