L’alchimiste

26 juin 2012

Par Dimitri Beck, Polkamagazine.com
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Catherine Deneuve, Esquire, Paris, 1976 © Helmut Newton Estate

Immortelles. Avec ses photos, Helmut Newton a rendu éternelles de nombreuses personnalités. Il leur a accordé une place dans son Panthéon photographique au sein duquel chaque cliché est un ticket pour l’éternité. Newton n’est pas un portraitiste conventionnel ni complaisant. Encore moins flatteur. Il se fait plutôt séducteur, avec cette touche de malice qui brille dans son regard de voyeur.

Sous son objectif, les portraits sont percutants. Le ton, direct. « Je ne peux photographier que trois genres de personnages : ceux que j’admire, ceux que j’aime et ceux que je déteste » avait l’habitude de dire Newton. Les plus grands, les plus belles, les plus énigmatiques ont été photographiés par lui. Auprès de ce charmeur, qui a grandi dans un studio de mode, les femmes sont en confiance. Elles se laissent aller, se dévoilent. Pour Catherine Deneuve et Isabelle Huppert, la pose devient charnelle. A Los Angeles, là où les anges prennent leur envol vers le paradis ou l’enfer, Newton a immortalisé de nombreuses actrices. « Je n’ai concédé un droit de regard qu’à deux d’entre elles : Elizabeth Taylor et Madonna, deux femmes intelligentes. »

Pour réaliser le portrait d’une personnalité, « la présence et le regard suffisent. La mise en scène dépend du caractère ou de l’activité du sujet ». Photographier les hommes politiques n’intimide pas Newton. Intuitif et précis, il laisse chacun s’exprimer devant son objectif. Ce qui l’excite : saisir sur le vif ce qui est caché. Newton déshabille du regard pour mieux scruter la personnalité de son modèle. Margaret Thatcher, froide, « ressemble à un requin », comme il le dit. Jean-Marie Le Pen, aux côtés de ses dobermans, exprime puissance et insolence. Les yeux de Salvador Dali, grands ouverts, comme fous, offrent un dernier éclat avant la mort.

Newton aime les personnalités fortes et sulfureuses. Dans sa galerie des portraits, il y a Leni Riefenstahl, la cinéaste et photographe au « passé politique si trouble », qui a glorifié les corps des athlètes allemands pendant les JO de Berlin en 1936. « Elle semblait flattée qu’un juif allemand, photographe relativement renommé de surcroît, lui porte un intérêt si sincère », confie-t-il*. Mais l’œil vif et acéré du photographe ne pardonne pas. Peut-être comme une forme de vengeance, Newton capte, dans un portrait de Riefenstahl qui date de 2000, la beauté qui se fane. Poudrier dans une main, éponge dans l’autre, celle qui a sublimé les sportifs aryens étale du fond de teint sur un visage flétri par les années. En arrière-plan, l’œil d’une jeune femme en peinture, qui pourrait bien être le sien, regarde froidement la scène. Plus qu’un portrait, cette photo est une allégorie du temps. Il y a ce que le modèle donne et ce que le photographe prend. L’alchimie entre les deux fait le bon portrait. Newton l’a saisie.

* « Helmut Newton, Autoportrait », éd. Robert Laffont.

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