Œuvres commentées d'Élisabeth : Jean-Baptiste Pierre Le Brun, Portrait par lui-même

6 novembre 2015
Pour vous faire découvrir un peu plus l'exposition Élisabeth Louise Vigée Le Brun jusqu'au 11 janvier 2016 plongez dans les tableaux de l'expo...


Jean-Baptiste Pierre Le Brun (Paris, 1748 – Paris, 1813), Portrait par lui-même, 1795,
 Collection particulière

Jean-Baptiste Pierre Le Brun

(Paris, 1748 – Paris, 1813)


Portrait par lui-même



Un an après la mort de Robespierre, qui ne met pas fin à la Terreur mais conduit le nouveau gouvernement du Directoire à la contenir, à droite comme à gauche, le Salon de 1795 offre une image concentrée des aspirations de la société française. Il fait une large place aux tableaux de deuil, dont le Bélisaire de François Gérard constitue l’acmé, et aux portraits de notables réconciliés avec le bonheur de vivre et le désir d’entreprendre. Jacques Louis David, qui peine à faire oublier ses compromissions, demande aux effigies pimpantes du couple Sériziat (musée du Louvre) un sauf-conduit pour les nouveaux temps. À l’inverse, Jean-Baptiste Pierre Le Brun ne pouvait augurer qu’un meilleur sort de cette rupture politique. Il expose alors ce bel autoportrait, exempt de toute trace d’austérité républicaine. Une page était bien tournée... Outre les effets négatifs que la Révolution eut sur le marché de l’art dont il était devenu le prince en vingt ans, le mari d’Élisabeth Louise Vigée avait été confronté à diverses difficultés dès 1792.

Ses tentatives visant à faire rayer le nom de son épouse de la liste des émigrés avaient échoué et l’avaient obligé à demander et obtenir le divorce, le 3 juin 1794, mettant ainsi fin à une union de dix-huit ans, sentimentalement malheureuse, financièrement dispendieuse, mais très avantageuse au total pour la carrière de Vigée Le Brun. De taille moyenne mais bien fait, nous dit cette dernière, Le Brun, toujours tiré à quatre épingles, avait du charme et en usait. On se gardera, du reste, de trop noircir ses « années révolutionnaires ». Cet hyperactif ne négligea alors ni le négoce des tableaux, ni son rôle de conseiller particulier, deux fonctions où il avait particulièrement brillé sous Louis XVI. L’ouverture du Louvre et la politique des arts de la République l’avaient également poussé à prendre position en citoyen concerné...



Au premier plan de l’autoportrait de 1795, on distingue la brochure que Le Brun avait fait paraître en janvier 1793 : ses observations sur le Museum national confirmaient sa volonté d’être associé aux destins du Louvre, dont il plaidait la vocation didactique et la nécessité d’y nommer de réels experts. Depuis quelque temps, avec l’appui de David, Le Brun faisait le siège du ministère de l’Intérieur, afin d’obtenir un poste au sein de la conservation qu’il importait de réformer. Une polémique, alimentée en 1794, en était résultée, et Le Brun, un an plus tard, pouvait croire à sa chance. Il restait disponible... Ainsi cet autoportrait nous livre-t-il l’image d’un notable poudré et celle d’un érudit au savoir universel, conformé- ment à la valorisation sociale du collectionnisme que le marchand avait plus que d’autres servie. Rien ne fait allusion directement ici au « boutiquier » et au « brocanteur » pour parler comme ses ennemis. Au-delà de la présence d’une figure égyptienne, métaphore d’un savoir et d’une sagesse apparemment sans limites, la composition s’inscrit dans la tradition du portrait académique : la référence insistante au portrait de Charles Le Brun par Nicolas de Largillierre (musée du Louvre), oncle lointain du modèle, fait sens à plusieurs titres. Si la main droite repose sur le deuxième des trois tomes de la Galerie des peintres flamands, hollandais et allemands, opus magnum du grand connaisseur des écoles nordiques, la main gauche tient fermement palette et pinceaux, appelant notre regard sur la toile en devenir et le chevalet du peintre. Le Brun s’était formé, sous Louis XV, chez François Boucher et Jean-Baptiste Deshays, avant de renoncer à la carrière pour le marché.



En 1795, nourrissait-il l’ambition de rejoindre le nouvel Institut, alors que son ex-femme venait de s’installer en Russie pour six ans ? Pourquoi pas ? Une lettre de sa main, datée du 25 brumaire an XI, nous rappelle qu’il n’avait pas renoncé, sous le Consulat, au statut de créateur. Mme Vigée Le Brun a fait au moins une fois, de façon certaine, le portrait de son mari. Prêtant ses traits au guitariste du Concert espagnol de 1777 (cat. 27), il n’avait pas eu à forcer son talent pour jouer les jolis cœurs.



Stéphane Guégan


 

 

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