Œuvres commentées de Fragonard : La Lettre d'amour

22 décembre 2015
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Jean-Honoré Fragonard, Le Billet doux ou La Lettre d’amour, Huile sur toile, Vers 1775, New York, The Metropolitan Museum, collection Jules S. Bache

Le Billet doux ou La Lettre d’amour



Une jeune femme s’est recluse dans un cabinet, assise à sa table à écrire ; elle presse sur son sein un bouquet de roses et de petites fleurs blanches encore empaqueté qu’elle vient sans doute de recevoir. Elle retient dans son autre main un billet qui apparemment accompagnait le présent. Des feuilles de papier disposées sur le pupitre de la table suggèrent la correspondance établie entre la destinataire et l’auteur de l’envoi. La séduction de la jeune femme, la connotation traditionnellement amoureuse de l’offre du bouquet de roses, l’échange épistolaire enfin, tout souligne la dimension érotique de la composition. Comme sur le lavis du musée de Chicago, la composition est dramatisée par l’adresse directe qui est faite au spectateur. La jeune femme s’est en effet détournée pour regarder droit en dehors du cadre. Le bichon frisé qui partage son siège s’est redressé, apparemment craintif, et fixe lui aussi un intrus intempestif. Comme sur La Lettre de Chicago le regard adressé semble de connivence et non de surprise. Les deux oeuvres se distinguent pourtant par le caractère très théâtral du dessin, où les « costume(s) pittoresque(s) et un peu espagnol(s) » sont de fantaisie. Sur la toile en revanche, Fragonard semble avoir accordé une attention peu commune à la représentation de l’environnement et du costume afin de les inscrire dans le temps.

La toilette recherchée de la jeune femme (sa coiffure notamment avec la charlotte ornée de rubans et de voile de gaze), le mobilier raffiné évoquent les intérieurs élégants des années 1770. Un effet miroir est suggéré avec l’environnement des commanditaires privilégiés de Fragonard. Le procédé renvoie à l’esthétique des gouaches si précises dans leurs inscriptions temporelles de Pierre-Antoine Baudouin et de son suiveur Nicolas Lavreince. De ce dernier, on peut citer une gouache, La Lettre (Paris, musée Cognacq-Jay), qui présente une disposition générale très comparable à la toile de Fragonard (Burollet, 2008, p. 155-157).



Fragonard a retenu surtout le travail subtil de Baudouin sur les sources lumineuses et l’agencement spatial structuré par la disposition des draperies, comme sur L’Épouse indiscrète ou Couple s’étreignant sur un lit à baldaquin. La mollesse soyeuse des plissés, la courbe caressante et le jour parcimonieux de l’oeil-de-boeuf induisent la discrétion confortable d’un espace intime et élégant, favorable sans doute à la rencontre amoureuse. Le traitement très graphique,

comme crissant, des différents drapés nous semble également renvoyer au style très reconnaissable de Baudouin. Le chromatisme enfin, clair mais mat, comme assourdi, pourrait évoquer les effets de la gouache. Fragonard actualise ainsi la thématique de la lettre d’amour déclinée par la peinture nordique du xviie siècle (Metsu, Ter Borch, Vermeer…) dont ses commanditaires étaient particulièrement friands. À l’heure aussi de la plus grande vogue du roman épistolaire… Il a été proposé que l’adresse (difficilement lisible) inscrite sur le billet qu’exhibe la jeune femme la désigne comme Mme Cuvillier. Il nous semble (sur photographie) possible d’y déchiffrer « Monsieur. Mm Cuvili… [ ?] ». MarieÉmilie

Boucher, remariée à Charles Cuvillier, était la veuve de Baudouin. L’hypothèse, pour nous très (trop ?) séduisante, demeure pourtant invérifiée (Rosenberg, 1989, p. 99).



Guillaume Faroult

 

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