jusqu au Havre, où j ai grandi. Dans mon esprit d enfant, Paris se tenait alors sur les Champs-Élysées et dans quelques emblèmes disposés avantageusement sur les berges de la Seine : la cathédrale Notre-Dame, le musée du Louvre, le binôme Tour Eiffel/Trocadéro, et puis le Grand Palais donc, qui s est longtemps résumé pour moi à cette verrière fabuleuse, si haute qu elle dépassait la frondaison des arbres, et si grande qu elle ne se laissait jamais saisir d un seul coup d œil : mystérieuse, tapie dans les feuillages telle une créature fantastique, on l apercevait par bribes, par éclat, saisir la partie pour le tout favorisant le songe, les fictions, un imaginaire de serre. Mais en ce jour, je pénètre dans l édifice par le bas, par le fond, par sa région obscure : les soubassements. Un endroit adéquat pour évoquer la sa conception, ses fondements, ainsi que les grandes lignes du projet de restauration conçu par l architecte François Chatillon. En vue de l Exposition universelle de 1900 donc, décision est prise par l État de doter Paris d un lieu de grande taille, à la fois prestigieux et polyvalent. Il est élevé en seulement trois ans, de 1897 à 1900, sur un terrain situé entre la Seine et les Champs-Élysées, lors d un chantier exceptionnel qui emploie des milliers d hommes, mobilise le cheval de trait et la vapeur, le rail, la grue mobile et la batellerie fluviale, importe des matériaux de toutes les régions de France. Ce chantier qui suscite la curiosité du public et de la presse manifeste l avènement de la révolution industrielle : il est à la fois le creuset du progrès en marche et le théâtre des bouleversements politiques et sociaux qui en découlent comme en témoigne la grève ouvrière qui paralyse les travaux en octobre 1898. ( )
Maylis de Kerangal
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